Mohamed Nafti: Propagande de guerre israélienne
Le recours à la propagande pendant la guerre n’est plus à prouver. Conçue comme un moyen immatériel, la propagande est utilisée comme une arme aussi efficace que les autres moyens pour gagner la guerre de l’information. Celle-ci est considérée par certains théoriciens militaires comme un principe de guerre. La propagande en temps de guerre est utilisée pour contrôler l’opinion publique interne et influencer l’opinion internationale. Elle est véhiculée par le biais des médias pour diffuser des idées et des messages de différentes natures ayant pour but de légitimer toutes les actions du gouvernement et délégitimer celles de l’ennemi. Israël a eu recours à une large propagande bien orchestrée et facilitée par les moyens technologiques à sa disposition. Propagée dès le premier jour de la guerre, elle a réussi à lui assurer le soutien du public à l’intérieur de son territoire et à attirer le soutien infaillible de l’Occident. En face, la propagande de la résistance palestinienne à Gaza paraît très rudimentaire et sans commune mesure. Sur ce point, comme au niveau des moyens de combat mis en œuvre par les deux belligérants, on ne peut objectivement parler de comparaison ; Israël fait cavalier seul dans ce domaine et se trouve largement soutenu par un Occident totalement acquis à sa cause et à sa propagande.
1. Les principes de la propagande de guerre israélienne: Israël n’a rien inventé, il a appliqué des principes de propagande connus durant les guerres passées. Déshumaniser l’ennemi, susciter la haine et le mépris, diffuser des accusations mensongères et tirer profit de la victimisation.
Déshumaniser le Hamas: c’est le premier message fort de propagande diffusé par le ministre israélien de la Défense, disant à pleine bouche que les habitants de Gaza sont des «hommes animaux». Par cette épithète, il fait perdre aux Palestiniens leur caractère humain et dignité humains en les réduisant à l’état animal. Ce message «bien» choisi dans le jargon de la propagande n’est nullement un lapsus ou un gros mot ni une mauvaise parole, c’est un choix délibéré mûrement et adapté au lexique de la propagande. Car, à partir du moment où on qualifie une personne d’animal, on légitime envers elle tous les mauvais traitements. Qualifier les Palestiniens d’«hommes animaux», c’est autoriser toutes les exactions envers les habitants de Gaza et se permettre d’enfreindre toutes les dispositions du droit international humanitaire (DIH), droit qui ne s’applique qu’aux humains. Par un seul mot, un qualificatif odieux, Israël réussit à galvaniser ses troupes pour massacrer des civils de la façon la plus meurtrière et la plus inhumaine en crachant des milliers de tonnes de bombes sur Gaza, ensevelissant hommes, femmes, enfants et nourrissons, avec leurs animaux sous les monceaux des décombres. Ce qualificatif pourrait à lui seul servir de corollaire à tous les autres outils de propagande dans cette guerre, mais ce n’est pas sans connaître l’esprit de vengeance des Israéliens, sentiment structuré et structurant de leur manière de penser, de se comporter et d’agir. Le seul fait de déshumaniser les Palestiniens fera éveiller les démons de la vengeance chez le peuple israélien. L’aviation israélienne, libre de toute contrainte morale et juridique, opère sans gêne à Gaza et bombarde sans discrimination tout ce qui vit ou permet de vivre. En Cisjordanie, militaires et colons israéliens s’adonnent aux pires exactions sur la population palestinienne (pourtant sans lien avec le Hamas). On arrête, on humilie et on tue avec l’arme à feu. Bref, on agit avec impunité au mépris de la loi et du DIH qui ne s’applique pas aux animaux ni aux «hommes animaux» dans la logique du gouvernement de Netanyahou.
Susciter la haine et le mépris. La haine, ce profond sentiment d’antipathie à l’égard du Palestinien conduit parfois à souhaiter l’abaissement ou la mort de la population arabe et palestinienne. Cette haine, qui a ses profondes racines dans le passé et dans l’histoire du peuple juif. L’hostilité chrétienne et l’hostilité arabo-islamique anciennes, l’inquisition espagnole (qui a d’ailleurs touché plus les musulmans que les israélites), l’antisémitisme européen caractérisé au cours des XVIIIe et XIXe siècles (repéré dans la littérature) et surtout le massacre des juifs perpétré par les Allemands durant la Seconde Guerre mondiale et soutenu par des gouvernements européens (qui ont collaboré avec les nazis en livrant ou en dénonçant les juifs) est peut- être pour quelque chose dans ce sentiment. Sachant que durant les périodes sombres de l’histoire du peuple juif, ce sont les Iraniens en premier lieu qui ont sauvé le peuple juif de l’extinction (Cyrus le Grand) et au début du XVIe siècle les royaumes nord- africains et les musulmans turcs qui ont accueilli les juifs chassés durant l’Inquisition. Et allez comprendre pourquoi cette ingratitude et cette haine envers les Arabes et les musulmans.
Le mépris et la haine envers les Palestiniens et les Arabes sont le fruit de la propagande israélienne manifestée par les responsables politiques. Le président, le chef du gouvernement et le ministre de la Défense crient ouvertement que le Hamas est responsable du massacre des bébés, de civils sans défense et qu’il veut détruire Israël. L’effort de la propagande accorde une large place au massacre de la population et à la survie de l’Etat d’Israël. Mais aucun mot sur l’attaque du Hamas sur les bases militaires, actes qui ne peuvent être qualifiés de terroristes suivant la définition du concept parce que les cibles sont militaires, et que Tsahal veut à tout prix masquer et effacer de la mémoire de la population israélienne et de celle du monde entier parce qu’ils représentent une grande réussite du Hamas et une amère déconvenue pour Israël. C’est donc pour masquer ce revers militaire que la propagande a mis l’effort sur le sentiment de la haine et du mépris. Une haine attisée par un sentiment de vengeance en poussant le siège sur Gaza et en étouffant la population en lui coupant ses besoins physiologiques et primaires. L’eau, la nourriture, les médicaments et l’électricité sont coupés et les habitations sont démolies. Les images tournées par des militaires israéliens humiliant des travailleurs palestiniens bloqués en Israël après le 7octobre sont le fruit de cette propagande.
Diffuser des accusations mensongères
On dit que la vérité est la première victime de la guerre. La propagande se nourrit souvent d’accusations mensongères et graves pour diaboliser l’ennemi et susciter la haine et le mépris envers lui. C’est souvent le responsable politique, habilité dans cet exercice, qui se charge de présenter les plus gros mensonges et les accusations les plus graves. Netanyahou n’a pas cessé de répéter le massacre des bébés décapités et des bébés rôtis au four par les combattants du Hamas, que les lieux de culte à Gaza abritent des terroristes et que les hôpitaux sont occupés par des chefs du Hamas qui opèrent à partir de ces installations sanitaires. Et beaucoup d’autres mensonges qui, en fait, donnent des prétextes pour bombarder et massacrer la population civile palestinienne.
Victimisation
Il s’agit de jouer le rôle de la victime. Ce principe de propagande est propre à Israël qui applique depuis longtemps cette stratégie consciente de la victimisation lui permettant de se mettre dans la position du « pauvre » et du « fragile » pour assurer les conséquences de ses actes. Les Israéliens ne cessent de dire que le monde entier est contre eux, que l’antisémitisme s’applique seulement à eux. Le mot « antisémite » est abordé à profusion dans les plateaux de télévision du monde occidental. Celui qui ne condamne pas le Hamas est un antisémite et sera poursuivi, condamné et puni sévèrement par les présentateurs de la télévision et par les partis politiques des pays démocratiques. Par ailleurs, la propagande de la victimisation permet à Israël de ne pas reconnaître ses erreurs. Depuis le 7 octobre, Israël s’acharne à détruire Gaza d’une violence inouïe et au mépris de toutes les règles de l’humanité et aucun responsable occidental n’a eu le courage de s’opposer à cette vengeance inhumaine. C’est aussi parce que la propagande victimaire vise à influencer les pensées et les sentiments des gens en essayant d’éveiller les souffrances des autres pour gagner leur solidarité. La stratégie de victimisation permet ainsi de changer la réalité et autorise Israël à frapper n’importe quelle cible à Gaza sans que personne n’ose lui demander des justifications. L’aviation israélienne bombarde les camps des réfugiés aussi bien que les bâtiments qui abritent les civils, les écoles, les églises, les mosquées et les hôpitaux. Tous ces lieux sont devenus des cibles légitimes parce qu’à leur sens ils abritent des terroristes.
2. Comment Israël diffuse-t-il sa propagande de guerre? Par l’utilisation en masse des outils de propagande, la monopolisation de l’information de guerre et par l’unanimisation des débats publics en Occident.
Les médias de masse, outils de propagande
En temps de guerre, le rôle des médias est souvent détourné pour servir les objectifs des gouvernements et devenir un outil de propagande et une formidable arme d’information et de guerre. Souvent, la propagande par les médias est largement privilégiée à l’utilisation de la force pour diffuser des idées et des images. Car l’information immatérielle et évanescente ne connaît aucune limite et elle est difficile à contrer. Pour cela, les chaînes de télévision des pays occidentaux sont devenues, durant cette guerre, un formidable outil de propagande au profit d’Israël. Les tribunes sont utilisées par des politiciens, des journalistes, des artistes, des écrivains, des cinéastes et des célébrités de tous bords, tous acquis à la propagande israélienne et mobilisés pour influencer la population à la cause d’Israël. A côté de la télévision et de son pouvoir d’audimat, les réseaux sociaux dirigés par des influenceurs professionnels complètent les vecteurs de la diffusion de la propagande israélienne. Israël a utilisé à bon escient son armada d’informations et son arsenal technologique pour surclasser le Hamas dans la guerre de l’information. Les chaînes de télévision, les journaux israéliens, les responsables politiques du gouvernement et les porte-parole de l’armée israélienne sont devenus les premières sources d’information de guerre. Très peu de correspondants de guerre étrangers sont autorisés à suivre le cours des opérations à Gaza. Le seul média qui relaie les informations et la propagande du Hamas est la chaîne qatarie Al Jazeera, mais celle-ci semble jouer un rôle de modérateur (filtre) et ne diffuse que des informations réelles et dépourvues de toute notion de propagande.
Monopolisation de l’information de guerre
La guerre du Vietnam était la première et la dernière guerre de l’ère de l’audiovisuel filmée sans censure. Les images réelles recueillies sur le champ de bataille et diffusées sans filtre dévoilaient les horreurs des combats et la violence commise aux populations civiles, et ont porté préjudice à l’armée américaine qui a perdu le soutien de l’opinion internationale. Changement de décor durant la guerre du Golfe, l’information de guerre est gérée par les militaires. On assiste au système de pool de journalistes qui sont briefés quotidiennement par l’armée loin du champ de bataille, leur exposant des images «propres» filmées par l’armée. En 2003 en Irak, des journalistes sont embarqués (Embedded) avec les unités de combat, mais là aussi ils ne seront autorisés à filmer que ce qui est permis par l’armée. A Gaza, une journaliste de BBC embarquée a été repérée avec l’unité israélienne qui a abordé l’hôpital Al-Shifa.
Censure systématique de l’information
Le peu d’images montrées par Tsahal dénotent l’existence d’une censure systématique établie par l’armée; ce qui est appliqué par toutes les armées du monde. Les images diffusées par l’armée israélienne concernant l’offensive terrestre montraient deux ou trois bouches de tunnels et quelques armes individuelles rudimentaires dans un coin de l’hôpital Al-Shifa. Le but de Tsahal était de légitimer la violation du droit humanitaire car si l’hôpital est un site protégé selon le DIH, cela implique aussi qu’il n’est pas permis de l’utiliser pour des fins militaires. Du côté palestinien à Gaza, les journalistes originaires de la ville reportaient pour la seule chaîne Al Jazeera, mais sont statiques et même si la chaîne diffuse en continu et en direct depuis le début du conflit, le reportage ne répond pas aux attentes des spectateurs.
La majorité du temps, les journalistes d’Al Jazeera opèrent à partir d’un endroit perché à Gaza qu’ils ne quittent pas par contrainte de sécurité et peut-être par une consigne israélienne, car les journalistes qui se sont aventurés en dehors de leurs repaires fixes ont été envoyés ad patres par Tsahal. Les journalistes d’Al Jazeera ne reportaient donc que les bombardements lointains à Gaza, ce qui veut dire que les repaires des journalistes étaient fixés par l’armée israélienne dans le but de contrôler l’information en temps de guerre et de voiler toutes les horreurs et violences sur les civils. Les informations écrites qui défilaient sur les antennes de la chaîne de télévision qatarie étaient en grande majorité des reportages relayés sur les chaines israéliennes. Ceci est une preuve du contrôle strict de l’information pour ne pas porter préjudice à l’armée et pour satisfaire les principes de la propagande qui veut que le gouvernement israélien monopolise le débat de la guerre et ne laisse filtrer que les images et les informations qu’il veut diffuser.
Unanimisation des débats
Des journalistes, d’anciens militaires de haut rang, des experts en géopolitique et d’anciens diplomates et ministres sont mobilisés par différentes chaînes de télévision en Europe pour condamner le Hamas et affirmer à haute voix qu’Israël a le droit de se défendre et qu’il faut éradiquer le Hamas. Il est clair que cet unanimisme européen et occidental n’est pas le fruit du hasard dans un monde démocratique où la liberté d’expression est religion. C’est l’effet de la propagande israélienne qui aurait financé ces médias européens pour les rallier à sa cause. Israël a accaparé la quasi-totalité des journaux et des canaux de télévision de l’Occident pour se réserver le monopole des débats publics et en faire des tribunes de soutien infaillible à sa cause et une condamnation nette du Hamas. Depuis le premier jour, le chef de file des pays occidentaux a institué la règle de conduite aux Etats européens. Il s’agit de répéter ces mots simples: «Israël a le droit de se défendre. Je condamne le Hamas. Le Hamas est terroriste. Full stop.» Chaque responsable politique occidental doit annoncer à travers les médias de son pays ces paroles, renforcer ces paroles par un pèlerinage à Tel-Aviv et répéter devant Netanyahou ces paroles en lui promettant tout le soutien indéfectible et éternel.
En conclusion, on dira que la bataille médiatique qu’a connue Gaza depuis le 7 octobre 2023 nous rappelle que l’information ne cesse d’être le nerf de la conduite de la guerre. On est frappé par la quantité d’informations disponibles à longueur de journée et diffusées par le biais des médias en tous genres, que ce soit la télévision, Facebook, X, YouTube ou toutes les autres sources internet ouvertes. Mais ce qu’il faut retenir est que le moyen le plus privilégié de la propagande de guerre demeure la télévision. Celle-ci est souvent écoutée en famille et son influence sur la société est le plus important.
Mohamed Nafti
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