L’IA, un levier stratégique pour la transition écologique et le développement durable en Tunisie
Par Samir Meddeb - L’environnement est aujourd’hui soumis à des pressions croissantes qui affectent toutes ses composantes: les ressources en eau, les sols, les forêts, les zones humides, la mer, le littoral ainsi que la biodiversité sous toutes ses formes. L’exploitation excessive, les pollutions, les différentes formes de dégradation et les transformations rapides induites par les activités humaines fragilisent les milieux, altèrent leurs fonctions écosystémiques essentielles et réduisent leurs capacités de renouvellement, compromettant par là même une grande partie du développement socioéconomique qui en dépend. Face à ces défis, la Tunisie, comme de nombreux autres pays, doit repenser ses modèles de développement afin de concilier progrès économique, préservation de l’environnement et transition vers une économie plus durable, moins consommatrice de ressources naturelles et plus résiliente au changement climatique.
Comprendre et relever ces enjeux suppose désormais de savoir analyser des systèmes d’une complexité croissante où s’entrecroisent des réactions multiples et variées entre différentes composantes naturelles et humaines. Les problématiques environnementales reposent sur des volumes importants de données, des interactions multiples et des dynamiques que les outils d’analyse traditionnels peinent à appréhender. Pour identifier les pressions, anticiper les risques, repérer les tendances et optimiser les solutions, il est nécessaire de recourir à des approches capables de traiter cette complexité et d’en extraire des orientations pertinentes. C’est dans cette capacité d’analyse, d’apprentissage et d’optimisation que réside toute la valeur ajoutée de l’intelligence artificielle.
Fondée sur la collecte, l’analyse et la modélisation de données en quantités extrémement importantes, l’intelligence artificielle apparaît aujourd’hui comme un outil incontournable pour accompagner la transition environnementale. Elle permet d’interpréter des informations jusque-là difficiles à exploiter, de mettre en évidence des corrélations invisibles aux méthodes classiques, de prévoir les évolutions futures et de proposer des options d’intervention plus efficaces. Elle constitue ainsi un levier stratégique pour repenser la gestion des écosystèmes et des ressources naturelles en Tunisie, en définissant une relation plus équilibrée entre le développement et le capital naturel, tout en renforçant la capacité du pays à faire face à l’intensification des défis écologiques et climatiques.
L’intelligence artificielle peut se positionner comme un appui majeur et transversal aux actions environnementales menées à différents niveaux: stratégies nationales, gestion territoriale, planification au sein des collectivités, conduite des activités agricoles ou fonctionnement des entreprises.
Dans les milieux naturels, elle offre une vision continue et d’une précision inédite grâce à la télédétection, la modélisation automatisée et le traitement d’images. Ces technologies permettent de cartographier l’état des forêts, des steppes, des massifs montagneux, des zones humides ou des littoraux, d’anticiper les dégradations et de cibler les actions de conservation. Dans le secteur agricole, elle fournit aux producteurs des diagnostics en temps quasi réel sur les sols, l’eau ou la santé des cultures, facilitant l’optimisation des rendements, la réduction des intrants et l’adaptation aux aléas climatiques. Les villes tirent également profit de cette révolution numérique : surveillance intelligente des différents réseaux, gestion optimisée de la collecte et du traitement des déchets et des eaux usées, modélisation de la qualité de l’air. Sur le plan énergétique, l’intelligence artificielle améliore l’intégration des énergies renouvelables, renforce l’efficacité des systèmes, des bâtiments et des entreprises et contribue à sécuriser les réseaux.
Enfin, en aidant à simuler différents scénarios de développement, l’intelligence artificielle devient un outil précieux pour éclairer les décisions publiques et construire des politiques plus cohérentes, plus durables et mieux adaptées aux défis socio-économiques et climatiques à venir.
Toutefois et pour que ce potentiel puisse pleinement se concrétiser, il est indispensable d’engager des actions structurantes et cohérentes. Il devient essentiel de démontrer, par des preuves tangibles, la valeur ajoutée de l’intelligence artificielle dans les domaines environnementaux et climatiques prioritaires. Des projets pilotes rigoureusement conçus, produisant des résultats visibles et mesurables, permettront non seulement de convaincre les décideurs, mais aussi de mobiliser les principaux utilisateurs potentiels, les chercheurs et l’opinion publique autour de solutions innovantes, crédibles et adaptées au contexte national.
Parallèlement, la construction d’un véritable écosystème national dédié à l’intelligence artificielle au service du développement durable est essentielle. Cet écosystème doit rassembler les institutions publiques, le secteur privé avec les différents usagers, le monde scientifique, les acteurs locaux et la société civile autour d’une vision partagée, fondée sur la coopération, l’innovation et la transparence.
Dans cette dynamique, la création de plateformes nationales de données environnementales ouvertes, sécurisées et régulièrement actualisées, constitue un socle incontournable. Elles permettront de mutualiser les connaissances, d’améliorer la qualité des analyses, de faciliter l’émergence de solutions technologiques nationales et d’accélérer la transition vers une gestion plus durable des ressources et des territoires.
La réussite de cette dynamique repose également sur la mobilisation de moyens financiers à la hauteur des enjeux. Ces financements devront être non seulement pérennes et diversifiés, mais surtout orientés vers l’identification de solutions réellement applicables et acceptables sur le terrain, en tenant compte des capacités locales, des besoins opérationnels et des contraintes réglementaires. Ils devront aussi soutenir la production, la structuration, le stockage et la sécurisation des données environnementales, afin de garantir une information fiable, accessible et exploitable par les différents acteurs. Un tel investissement permettra d’alimenter efficacement les algorithmes, de renforcer la qualité des analyses et d’assurer un usage optimal de l’intelligence artificielle au service de la transition écologique.
En réunissant ces conditions, la Tunisie pourra faire de l’intelligence artificielle un levier puissant pour transformer sa relation à l’environnement et engager une transition effective vers un modèle durable, circulaire et résilient.
Samir Meddeb
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