Lu pour vous - 25.01.2012

L'article premier de la Constitution : cheval de troie ou bouclier pour la modernité tunisienne ?

Peut-on penser la modernité tunisienne en faisant l’impasse sur la vie et l’œuvre de « son inventeur », Habib Bourguiba ? Impossible, répond Samy Ghorbal, qui publie chez Cérès éditions un essai qui fera date, Orphelins de Bourguiba et héritiers du Prophète. Politiste de formation, diplômé de Sciences Po Paris, journaliste ayant longtemps travaillé à Jeune Afrique, son auteur s’est engagé en politique après la Révolution du 14 janvier. Il a rejoint l’équipe d’Ahmed Néjib Chebbi, le leader du PDP et a notamment participé à l’écriture du programme du parti pour les élections de la Constituante.

Alors que la Tunisie se cherche et s’interroge sur les fondements de son identité politique, son livre nous invite à nous replonger dans les méandres de la pensée bourguibienne. Que signifie au juste le fameux article premier de la Constitution du 1er juin 1959, et quelle est sa portée ? Pourquoi Bourguiba, chantre du progrès et de la rationalité, a-t-il à tout prix souhaité maintenir un ancrage religieux à l’Etat tunisien ? Zine el Abidine Ben Ali a-t-il dévoyé et perverti la modernité tunisienne, en instrumentalisant les thématiques de l’authenticité culturelle et de la religion ? Où se situe la véritable ligne de démarcation entre les modernistes et les chantres de la pensée identitaire ? A quelle distance l’Etat doit-il se placer de la religion ? Autant de questions-clefs auxquelles ce jeune auteur de 37 ans tente d’apporter des éclairages originaux. Un essai indispensable pour saisir les enjeux constitutifs de la seconde République tunisienne.

Pour Samy Ghorbal en effet, l’article 1er de la Constitution de 1959, qui dispose que la Tunisie est un Etat libre, indépendant et souverain dont religion est l’Islam, langue l’arabe et le régime la République, est la pierre angulaire de l’identité politique tunisienne. Quelle est l’histoire de cet article, « fruit de l’alchimie bourguibienne », que Béji Caïd Essebsi présentait à juste titre comme « la colonne vertébrale » de la Tunisie moderne ? Et pourquoi sera-t-il très vraisemblablement maintenu par la Constituante issue des élections du 23 octobre, quand elle se décidera enfin à se pencher sur l’écriture de la nouvelle Constitution ? Faut-il redouter l’usage qui sera fait de ce texte, volontairement rédigé de manière ambiguë ?

 « J’avoue qu’au départ, c’était la notion d’islamité de l’Etat qui m’interpelait, explique Samy Ghorbal. Je voulais savoir ce qu’elle recouvrait, connaître ses implications. C’était un questionnement purement théorique. Car j’ai commencé à écrire mon livre fin 2009. Ben Ali était solidement cramponné au pouvoir, et l’horizon était bouché, à la fois sur le plan politique et sur le plan éditorial. Je ne suis pas devin, je n’imaginais pas ce qui allait se passer à partir du 17 décembre 2010. Je m’étais résigné à l’idée que ce livre ne sortirait pas en Tunisie. En revanche, j’avais bien conscience que le président déchu avait perverti le sécularisme tunisien. Et que la question du lien Etat religion allait inévitablement devenir un sujet brûlant. » 

Précisément, l’article premier risque-t-il de se transformer en « Cheval de Troie », maintenant qu’un parti à référentiel islamique s’est emparé du pouvoir ? Ou va-t-il au contraire agir comme un bouclier ? « Si vous m’aviez posé la question il y a deux ans, j’aurais répondu Cheval de Troie, sans hésiter, poursuit Samy Ghorbal. J’ai nettement évolué. Car en réalité, l’article 1er recouvre deux choses à la fois : un dispositif juridique et une formule identitaire. Le dispositif juridique dit que l’Etat tunisien, malgré son enveloppe d’islamité, est un Etat tolérant et séculier. La charia n’est pas source de droit, la Constitution reconnait la liberté de conscience et le principe de non-discrimination entre les citoyens. C’est un acquis fondamental de notre modernité, au même titre que le Code du Statut Personnel. C’est un bouclier. Et cela ne doit pas changer. C’est l’autre aspect de l’article 1er qui, à mon sens, pose problème. Car on peut être tenté de comprendre la formule identitaire comme une assignation identitaire. Elle semble suggérer une définition communautaire et culturelle de l’identité qui laisse finalement peu de place à l’individu et ne lui donne pas la possibilité de se réaliser pleinement, comme sujet libre, dans la citoyenneté. Il faut en avoir conscience. C’est là où résident les ambivalences de la modernité. Personne n’y échappe. Et c’est bien le problème… »

L’auteur procédera à une séance de signature de son ouvrage, le samedi 28 janvier, à 17 heures, à la librairie Mille Feuilles, à La Marsa.
Un site internet est dédié à ce livre : www.lidee-rouge.com
 

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