Bourguiba, un homme de grande culture
merci à Leaders d’avoir exhumé cette émouvante correspondance de Bourguiba au procureur de la République de Monastir et dans laquelle il portait plainte contre son inique embastillement.
En cet anniversaire de sa disparition, nombreux sont les Tunisiens qui se rappellent l’extraordinaire journée du 1er juin 1955 avec émotion et nostalgie. Le peuple était alors uni, tel un roc. Cette journée historique - au sens le plus complet du terme – vit le retour triomphal de Bourguiba quand pratiquement tout le pays se retrouva à Tunis. Comme les Tunisiens se souviennent de ses fameux (et souvent délicieux) discours, de sa phénoménale mémoire lorsqu’il déclamait «La mort du loup» d’Alfred de Vigny ou des passages entiers d’Hernani de Victor Hugo. J’ai personnellement très peu approché le zaïm même si, à Bizerte, feu mon père avait toujours de ses nouvelles par le canal de son ami le leader Habib Bougatfa et de la presse du Destour : Al Horriya, Mission… Il n’en demeure pas moins que sa visite, le 15 janvier 1952, est gravée dans la mémoire de tous les Bizertins… Comme, bien entendu, la guerre de juillet 1961 contre le colonialisme et ses bases militaires, guerre qui a fait tant de victimes dans cette ville pourtant toujours au premier rang dans les combats pour l’indépendance, sous la houlette de Bouchoucha, de Bougatfa, de Ben Saber, de Nouri et de tant d’autres.
Maître de conférences à l’Université, j’ai été nommé en 1973 professeur. Ce qui m’a valu une invitation à rencontrer le Président à Carthage. Il suivait en effet de près les premiers pas de l’Université récemment installée au Campus. J’ai été frappé par sa petite taille. Je l’imaginais bien plus grand. Affable et d’accès facile, Bourguiba me demanda dans quelle spécialité j’avais obtenu, en 1967, mon doctorat. «Electrochimie organique, M. le Président» répondis-je. Il partit alors d’un grand éclat de rire et me dit : «Savez-vous comment s’appelait mon professeur de chimie organique à Sadiki?» Sur ma réponse négative, il dit, toujours en riant : «M. Doubledent !» Puis, me prenant par le bras, il me demanda le plus sérieusement du monde: «Si Larbi, dites-moi, le carbone est-il toujours tétravalent ?» J’ai été réellement éberlué. Voilà un homme qui a obtenu le diplôme du Collège Sadiki (1) et le baccalauréat vraisemblablement au début des années 1920, qui a étudié par la suite à Paris le droit et fréquenté, rue Saint Guillaume, l’Ecole des Sciences Politiques. Un demi-siècle plus tard, il est capable de se souvenir du programme de chimie organique de la Terminale ! Par cette question, non seulement il montrait une mémoire phénoménale mais révélait en même temps l’«honnête homme » comme aurait dit Montaigne. Il faisait ainsi état d’une compréhension claire de l’évolution de la Science et des théories scientifiques pour lesquelles rien n’est parole d’Evangile et où nulle autorité n’est acceptée pour l’Eternité fut-elle celle de Van’t Hoff et Lebel, les pères, en 1874, de la tétravalence du carbone.
Je ne pus m’empêcher d’admirer cet homme… qui, pourtant m’a fait souffrir - ainsi que ma famille et de nombreux camarades de lutte - quand en 1962, j’ai été élu Secrétaire Général de la Corporation des Etudiants tunisiens de l’UGET à Paris - la plus importante en nombre d’étudiants hors Tunis - corporation qui avait le tort énorme de ne comprendre aucun délégué étudiant destourien. Elle fut promptement dissoute et ses membres exclus de l’UGET sous le fallacieux prétexte d’un télégramme envoyé au Chef de l’Etat au sujet du complot. Nous, les étudiants tunisiens à Paris, avions eu, en effet, le tort - aux yeux du pouvoir - de condamner sans ambages et fort clairement, dans cette missive rédigée suite à une AG, le complot de 1962. Mais, dans le même temps, nous demandions le respect de la Constitution quant à la séparation des pouvoirs, appelions en outre le gouvernement à procéder à un examen de conscience et à tirer les leçons de ce coup de tonnerre. Bourguiba et les dirigeants de l’UGET à Tunis ne pouvaient admettre une telle liberté de ton et un tel rappel à l’ordre. L’autoritarisme du pouvoir s’exprimait une fois de plus, cinq ans après l’Indépendance. Déjà, le périodique de gauche « Tribune du progrès » était suspendu, « L’Action » (quotidien du Néo-Destour) et Abdelaziz Laroui se déchaînaient contre les étudiants….
Quoiqu’il en soit, Bourguiba, décédé le 06 avril 2000, ne méritait ni cet odieux enfermement ni cet indigne enterrement, lui qui aurait aimé déclamer face aux Ben Ali, aux Trabelsi, à leurs comparses cette tirade de «Ruy Blas» de Victor Hugo :
Ô ministres intègres !
Conseillers vertueux ! Voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
Que remplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe !
Mohamed Larbi Bouguerra
(1) - Etonnamment, certains billets de 20 dinars, portent la mention « Ecole Sadiki », traduction littérale de « médersa » ?! Regrettable !
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Félicitations Docteur pour cette belle plume et cette veine littéraire ! Nous en redemandons.
c'est un grand homme qui a mis la Tunisie sur les railles, il mérite bcp pour son rôle dans la scolarisation et la liberté de femme.
Cet HOMME a été mis dans les oubliettes. Sa mémoire et ses actions ont été complètement inhibées, ses statues déboulonnées, la jeune génération sait à peine qui était BOURGUIBA. Politiques, journalistes, intellectuels(elles), gens du peuple y compris les plus anciens n'osaient plus évoquer cet Homme. Les seules choses qui restent de BOURGUIBA, son avenue, son mausolée et l'unique statue à Tabarka. En ce jour du 06 Avril, je constate une effervescence et une frénésie autour des plateaux de télés pour parler de cet HOMME de ses actions. Il fût un temps pas si lointain ou l'on montrait à la télévision tv7, ses actions et réalisations en négatif noir & blanc et celles du dictateur sanguinaire ben ali et son système mafieux en positif couleurs. BOUGUIBA était devenu certes avec l'usure du pouvoir pas irréprochable,et dictateur mais toujours bienveillant. Mesdames,Messieurs les politiciens,BOURGUIBA à lui seul avait réalisé en moins de 5 ans des réformes et des avancées exemplaires pour la TUNISIE. QU'AVEZ-VOUS FAIT DEPUIS bientôt 3ans. Je termine par cette citation Française: Le mérite appartient à celui qui a commencé, même si les suivants font mieux.
Article très bien écrit dans la langue de. Molière digne de l'universitaire mais quelque peu naïf quand a l'appreciation du personnage de Bourguiba,l'entrevue que vous avez eu était bien préparée ( nom du professeur ,le carbone tertavalent) pour vous impressionner et souvent le dessus , pratiques assez anciennes et utilisées par de nombreux politiciens,rien d'exceptionnel!
excellent commentaire ;justifié si B ferait un excellent ministre de l 'environnement.c 'est un homme hyper compétent ceci dit revenons à Bourguiba il était complexe aussi et a favorisé sa région comme le président de Cote d'Ivoire de l 'époque au détriment du reste du pays.le déséquilibre régional nous en payons les conséquences
C'est un très beau texte, Merci, Cher collègue! P.S. les vers extraits de Ruy Blass,sont d'actualité. Merci
Si Mohamed Larbi, merci de cet article très touchant et de ce témoignage si respectueux. Permettez-moi une petite information. Bourguiba a eu son bac Lettres en 1927 avec mention Bien et un beau 16/20 en philo. Très souvent il demandait à la Bibliothèque Nationale une photocopie de la liste des admis. La dernière fois a été remise par Monsieur Ezzedine Guellouz, le directeur général de la BN en 1983 à Nefta. Bourguiba lui a alors annoncé qu'il le nomme ambassadeur de Tunisie à l'UNESCO à Paris sur recommandation de Senghor son ami.
Je remercie M. Mohamed Larbi Bouguerra pour sa contribution ainsi que Leaders d'avoir publié la correspondance de Bourguiba. On dira tout ce qu'on voudra, mais il y a une chose qui me paraît incontestable: Bourguiba fut un grand homme d'Etat et Lle pays mettra longtemps pour lui trouver un digne remplaçant. En 1955, il avait sauvé la Tunisie de la guerre civile et de l'anarchie, et a modernisé de manière autoritaire la société. Il ne pouvait mener à bien ce projet qu'en limitant les libertés.
Je partage entièrement l'avis de mon Professeur de Chimie (c'était en 1972 en SN1 au campus) je suis de la génération de Bourguiba et c'est grace à sa politique socio éducative que je dois ma situation actuelle (Médecin chef de service dans un hopital français)Yrhmek ya Bourguiba
Le Bourguibisme n'est pas une idéologie, c'est un état d'esprit et une philosophie de la "comédie humaine" qui tourne autour de l'amour envers la Tunisie et du monde politique qui l'entoure. Pour Bourguiba, la Méditerranée devrait être un espace de paix, d'entente et de solidarité entre les civilisations, les peuples et les religions dans un concept de biculturalisme arabo-musulman et chrétien. Le Bourguibisme à l'échelle tunisienne était la promotion de l'homme (éducation, santé, émancipation de la femme,...). Les seules défaillances du Bourguibisme en Tunisie étaient la dictature du parti unique et l'hégémonie égocentrique du combattant suprême!
Parler du Combattant Suprême, c’est parler d’un long combat d’un homme libre et exceptionnel, et aussi du passé récent, du présent et du futur de la Tunisie. L’œuvre n’est pas aisée de décrypter toutes ses actions de son grand parcours, son entreprise pour la reconstruction du pays, car, elles émanent des fondements intimes de sa personnalité et de sa riche philosophie, son niveau intellectuel, culturel et politique, et de ses dons de bonne lecture l’histoire et des environnements. Déjà en 1928, en sa qualité de jeune avocat, devant un tribunal du protectorat français, il défendait un concitoyen qui avait commis un vol. Il avait transformé sa plaidoirie en réquisitoire contre l’occupation française qui l’accusait de responsable de l’acte de son client. Le président du tribunal, très sage et attentif ne l’avait pas interrompu, mais une fois la plaidoirie terminée, il s’adresse à Maître Bourguiba : « Maître, je dois appliquer les décrets beycaux ». En effet, son opiniâtre et âpre bataille pour l’indépendance de notre pays avec des compagnons aussi légendaires, germait dans son propre Etre, consacrait son incroyable résistance aux différents traquenards, vicissitudes, complots et aux convoitises, et attestait de sa juste clairvoyance des chemins arpentés pour assurer la pérennité de l’Etat tunisien. Ses positions, ses options, ses résolutions et sa juste lecture des environnements ne peuvent être démenties ou même contestés à ce jour, en les interprétant et les analysons dans leurs contextes particuliers conjecturels et conjoncturel. De 1956 à 1968, il était l’aîné d’une jeune équipe avec une moyenne d’âge de 35 ans, la Tunisie était présentée comme un modèle envié de résilience, tant au niveau régional qu’africain, les réalisations identifiées et mises en œuvre ne sont pas égalées à ce jour et s’affirment comme des « semences » qui produisent des effets multiplicateurs de croissance, et participent d’une manière dynamique aux ressourcements des potentialités humaines. La Tunisie était présentée comme un champion régional, à l’échelle du continent africain, et les disparités sociales et régionales avaient fait l’objet de dynamiques et vastes projets culturel, agricole, industriel et économique. Les positions universelles de la Tunisie étaient émanaient de l’exercice de son indépendance, de sa souveraineté, et le refus ferme et permanent de Bourguiba à quiconque Etat ou autre à de violer, d’altérer la dignité de notre pays, que Bourguiba l’incarnait. La France avait payé un fort prix diplomatique après le bombardement de Sakiet Sidi Youssef, et les évènements de Bizerte, et après le bombardement de Hammam Chot, il convoquait d’urgence l’ambassadeur des USA, en présence de son fils, sans l’inviter à s’assoir, furieux comme lion affamé, s’adresse à l’ambassadeur : « Dans nos coutumes musulmanes, lorsqu’une femme trahit son mari, il la divorce, je vais donc au conseil de sécurité et j’espère que je n’arriverais pas à ce stade ». Sa première attaque cardiaque en 1968, l’avait fragilisé, et ouvert beaucoup de portes de scénarios de successions. Dès lors, la Tunisie s’était entrée dans un tourbillon de spéculations politiques et économiques, et Bourguiba s’isolait de plus et prenait ses distances de ses anciens compagnons et proches. Il est parti du pouvoir en 1987, après une détérioration de son état de santé sans aucun perdre de sa lucidité, après avoir divorcé son épouse, écarté ses proches collaborateurs, et s’est trouvé seul, comme le Général De Gaule. Beaucoup aujourd’hui lui reprochent sa « dictature » dans l’exercice du pouvoir, mais peut-on construire une démocratie avec un foisonnement de luttes internes pour le pouvoir et une stabilité constamment menacée, et, sans effort et sans ressources financières ? Pour lui, l’Etat de droit doit, d’abord, se construire par :? : 1- La solidarité d’un peuple uni. 2-L’augmentation de la capacité de discernement du tunisien et l’évolution de son QI moyen. 3- Le développement économique, scientifique et technologique. Le 14 janvier 2011, celui qui avait succédé à Bourguiba en novembre 1987, a quitté le pouvoir et le pays en annonçant au peuple, que la Nation va vivre un profond changement. Aujourd’hui une minable classe politique s’est accaparée de la scène nationale profitant d’une implosion populaire et d’une manipulation de l’opinion publique par une masse média dépassée par l’ampleur des évènements, et sa troïka gouvernante pense que la construction de l’Etat de droit pourrait se réaliser par la mendicité, l’endettement, la distribution d’emplois. La hargne et la véhémente volonté alimentent un « désir capricieux » une espèce humaine de cette classe à nuire à la mémoire de Bourguiba, elle est dépourvue de réussites, se nourrit de haine et de rancune, et son allégeance aux forces extérieures est établie. Sûrement elle sera versée dans la poubelle de l’histoire. L’Histoire appartient à Bourguiba, à ses compagnons et à sa génération, et appartiendra à cette extraordinaire jeunesse, qui saura prendre le flambeau d’une Tunisie indépendante, prospère et un véritable modèle de bonne gouvernance. Nos historiens avertis, nos intellectuels indépendants, et nos sages feront indubitablement une dissertation juste et documentée de ceux qui avaient libéré notre pays et l’avaient mis sur le cap de modernité, de la tolérance et de la modération, qualités attribuées par le reste du monde aux tunisiens. .
Bravo Si Larbi pour ce témoignage, encore un qui met en lumière les capacités intellectuelles de ce grand homme. On voit bien pourquoi les obscurantistes de tous bords lui vouent une haine sans fin même après sa mort car son intelligence représente un grand danger pour leurs convictions rétrogrades.
Il était, par surcroit, extrêmement brillant, pour peu qu'il ait réussi, en à peine 3 ans, 1924/1927, à obtenir et une licence en droit et un diplome (supérieur, écrit-on) de Sciences Po..........sachant que pour ce dernier, il en est dit :"Le diplôme Sciences Po se décerne au bout de cinq ans d'études" (sachant que l'accès à cette Grande Ecole se fait sur concours). Quant à la licence en droit, on peut l'obtenir en quatre ans d'études..... En trois (courtes) années, Bourguiba aurait réussi ce que d'autres triment 9 ans pour le faire........ Au fait, on ne nous dit pas tout (comme le titre d'une émission TV) : Chez quel avocat de la place, le leader s'était-il inscrit pour effectuer son "stage", avant son inscription au fameux "tableau" ??? hamadi khammar
Le génie de Bourguiba a été de comprendre que pour un pays au ressources naturelles quasi nulles,le seul moyen pour survivre et prospérer c'est la libération de la "cervelle tunisienne", promouvoir la réflexion créative et la libérer de toute entrave fut elle même religieuse. Ca n'a pas été le Japon mais par rapport aux autres pays arabes et africains nous avons beaucoup avancé. Le problème est que le "nous" est très exagéré, car la philosophie bourguibienne pour qu'elle marche, il faut de l'effort intellectuel et physique et cela n'a pas et ne convient pas à la totalité des tunisiens beaucoup plus séduis par le confort des orientaux dont la richesse du sous sol les exempte à court terme de tout effort ce qui n'est pas du tout notre cas. La frange des tunisiens "pro orientaux" s'est trouvée réconfortée dans ses choix "improductifs" par le refuge spirituel -véritable- calmant euphorique réconfortant et dopant d'une idéologie quasi stérile mais renforcée dans sa certitude par les profondes erreurs du "Zaim" qui a tout prévu pour la pérennité de son œuvre sauf ses propres faiblesses dont la plus délétère a été d'accepter et instaurer la présidence à vie. On se retrouve actuellement en Tunisie avec cette frange tunisienne "pro orientale" de motivation exaltée par des décennies de privation de jouissance considérée de droit et dont une grande majorité actuellement au pouvoir n'arrive pas à admettre qu'en fin de compte leur idéologie et fausse n'apportant pas de prospérité au pays et même pas à eux mêmes et le plus dur pour eux et qu'ils n'arrivent vraiment pas à avaler mais alors pas du tout malgré une profonde conviction c'est que celui qui avait raison c'est bien et bel et bien BOURGUIBA.