Ahmet Davuto?lu, investi «vice Sultan» de Turquie
Le chef du gouvernement était le personnage central de la vie politique en Turquie. Elu par la grande Assemblée nationale, le parlement monocaméral, où son parti détenait la majorité ; il avait sous son autorité l’intégralité du pouvoir exécutif. Le président de la République n’était que le symbole de l’unité nationale, le garant des institutions et surtout le protecteur de la laïcité élevée au rang d’un choix sacré par le fondateur de la Turquie moderne Mustafa Kamel Ataturk.
A partir du jeudi 28 août, cette préséance sera obsolète. L’homme élu le 10 courant président de la République turque pour la première fois au suffrage universel dès le premier tour a déjà changé la donne. Il ne fait plus de doute que Recep Tayyip Erdogan est désormais le maître absolu de la Turquie. Pour prendre ses aises, il a placé à la tête du parti AKP- parti de la justice et du développement islamiste- et du gouvernement un homme lige qui lui est totalement dévoué.
Ahmet Davuto?lu, un homme plutôt taciturne était un parfait inconnu quand il a été nommé ministre des affaires étrangères en 2009. Universitaire ayant eu une carrière à l’extérieur de son pays notamment à l’Université islamique de Kula Lumpur (Malaisie), son seul fait s’armes c’était d’avoir occupé le poste de conseiller diplomatique à la présidence du gouvernement sous Abdullah Gul en 2002 puis de son successeur Erdogan. Ce n’est qu’en 2011 qu’il devient membre du Parlement.
Agé de 55 ans, issu d’une famille pieuse de Konya, ayant fait ses études au Lycée allemand d’Istanbul il est décrit comme un musulman conservateur et un nationaliste intransigeant. Il est connu pour être le promoteur d’une « doctrine » sur le plan international, qui porte son nom. La «doctrine Davuto?lu» est celle du « zéro problème avec les voisins », une diplomatie multidimensionnelle entre le Moyen-Orient, l'Europe et le monde russe. Dans un entretien au Monde en 2011, il explique que l'objectif d'une telle politique est de faire de la Turquie une zone stable et prospère dans la région ainsi que de désamorcer les conflits entre la Turquie et ses voisins mais aussi entre voisins de la Turquie eux-mêmes en jouant un rôle de médiateur. Cette politique qualifiée de « néo-ottomane », a toutefois subi des revers depuis les «printemps arabes» et mis la Turquie en difficulté dans les conflits qui secouent ses voisins syrien et irakien ainsi qu’avec Israël contre lequel Erdogan a pris l’habitude de hausser le ton pour ménager sa popularité auprès des masses arabes alors que Tel Aviv reste toujours un allié stratégique d’Ankara membre important de l’OTAN.
C’est au cours d’un congrès extraordinaire de l’AKP tenu mercredi que Tayyip Recep Erdogan a confié la tête du parti islamo-conservateur et du gouvernement à son dauphin désigné Ahmet Davutoglu, qui l’a assuré sa totale fidélité et de la poursuite de sa politique.
Lors de congrès réglé comme du papier à musique, l’homme fort de Turquie depuis onze ans, qui doit être investi jeudi chef de l’État, et son successeur ont réglé leur transition en douceur, devant quelque 40..000 partisans réunis dans une salle de sports surchauffée d’Ankara.
Seul candidat, M. Davutoglu a été formellement élu président du Parti de la justice et du développement (AKP) à l’unanimité de ses 1382 délégués et doit désormais être nommé jeudi premier ministre sitôt le nouveau président en fonction.
Dénoncé comme un autocrate par ses adversaires, M. Erdogan a rendu les clés du parti qu’il a créé en 2001 en assurant que l’AKP ne serait jamais celui «d’un seul homme» et que M. Davutoglu ne serait pas sa « marionnette». «Notre cause a toujours proscrit les ambitions personnelles, l’arrogance, la haine et la objectifs et les idéaux restent».a-t-il lancé à ses supporters, tous acquis à sa cause.
Cofondateur de l’AKP en 2001, le président élu a conclu son dernier discours de chef de l’AKP sur une note d’émotion, suscitant les larmes de nombreux militants. «Le temps de dire au revoir est arrivé. Vous savez combien il est difficile pour moi de partir», a confié M. Erdogan. «Mais je vais rester en contact avec vous, peut-être moins fréquemment qu’avant», a-t-il promis, «ce n’est pas un adieu».
Le grand perdant de cette permutation entre Erdogan et Davutoglu est Abdullah Gul. Le président sortant et cofondateur de l’AKP est éjecté sans ménagement alors que l’on s’attendait à une formule à la russe avec permutation entre le chef de l’Etat et celui du gouvernement.
M. Davutoglu devrait présenter son gouvernement dès vendredi. Selon les indiscrétions parues dans la presse turque, sa nouvelle équipe ministérielle doit inclure les actuels responsables de la politique économique, afin de rassurer les marchés. Elle doit surtout faire la part belle aux fidèles de M. Erdogan, qualifié de « maître » sur les banderoles déployées mercredi à Ankara.
R.B.R.
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