Opinions - 26.05.2015

L’Innovation: Une affaire d’Etat!

L’Innovation: Une affaire d’Etat!
Le séminaire organisé récemment par le PASRI et l’ANPR sur le paysage de la recherche et de l'innovation en Tunisie a été instructif à plus d’un titre. D’abord, il a mis en avant le fait qu’il est encore trop prétentieux de parler d’un Système National d’Innovation –ou SNI- en Tunisie. Il est vrai que bon nombre de composants existent, mais en réalité, ils ne sont pas vraiment interconnectés et interdépendants pour former un système cohérent avec une finalité et des objectifs partagés. Ce qui rend utopique toute forme de gouvernance. Pour y remédier, il y a lieu de revisiter le cadre général qui administre les différentes entités du SNI, d’une part,  et mettre en place un processus collaboratif de création de valeur avec un référentiel commun de mesure d’impact, d’autre part. Mais avant tout cela, il faudrait commencer par tracer des  politiques publiques en matière de Recherche et Innovation, et mobiliser les bonnes ressources nécessaires à cette fin. La formulation d’une telle politique  est un grand test pour le gouvernement actuel, vu les impératifs de transversalité sectorielle et de gouvernance multi-niveaux qu’elle implique, sachant que la vitesse des changements et les déplacements des frontières technologiques exigent un nouveau regard sur notre Système National d’Innovation.
En réflexion préalable, le caractère « national » du SNI n’est-il pas une vue de l’esprit à l’ère de la mondialisation? Au mieux, il n’est qu’une lecture réduite du système de production / valorisation / destruction / transformation de valeurs, qu’on appellera Innovation Value Stream. Ainsi, on parlerait plutôt de processus locaux,  qui s’insèrent dans un système global d’innovation, et qui couvrent à leur tour, tout autant de sous-systèmes insérés généralement dans les entreprises. De là, le Système d’Innovation apparait lui-même comme englobant et englobé. A l’image du vivant, pour se développer il a besoin de se reproduire, et en même temps de créer l’environnement qui lui est propice.  Le renouvellement faisant partie des Lois de la Nature, les composants du système qui sont inertes et improductifs devront être supprimés et/ou remplacés. 
 
Ainsi, comme tout système vivant, le Système d’Innovation devra développer des capacités vitales et qu’on peut matérialiser autour des fonctions suivantes :
  1. Une Capacité Cognitive, pour voir, apprendre et agir dans la complexité….  C’est ce qui permettra de formuler un bonne stratégie et mesurer son Impact, tout en affectant les rôles aux acteurs, veiller à réduire les asymétries d’information, choisir les investissements long terme pour compenser la faiblesse du secteur productif, et le cas échéant décider des niches de spécialisation et renforcer la coopération nationale et internationale sur les sujets d’intérêt global.
  2. Une Capacité Organisationnelle, pour réunir les acteurs et les actants pour œuvrer à une même finalité, assortie d’un bon mode de Gouvernance impliquant l’ensemble des parties prenantes. Ainsi, il faudrait s’assurer d’avoir trois ingrédients essentiels, les compétences requises pour déployer le processus de création de valeur, la bonne traduction de l’information stratégique et le bon tableau de bord pour les mesures de la performance. 
  3. Une Capacité de Production à travers des processus formellement identifiés et dont le rôle est de transformer des intrants, principalement des connaissances associées à des briques technologiques, en produits ou services innovants dont la valeur se mesure sur le marché. Ce qu’on doit surligner à ce niveau, c’est que la capacité de ce processus,  n’est pas fonction linéaire des moyens mobilisés en R&D, mais repose pour l’essentiel sur le potentiel du couple Technologie/Marché, ou encore la fluidité du transfert de technologies entre les différents acteurs. Plus les transferts de technologies sont possibles, sous toutes les formes, depuis les contrats de licences, ou de recherche collaborative ou encore d’essaimage scientifique, plus le potentiel d’innovation est élevé. Et la réciproque est vraie aussi. Ce qui explique d’ailleurs en grande partie la faible performance de la Tunisie en matière d’index d’innovation(i) , malgré une capacité de recherche scientifique respectable.
Une Capacité de produire un environnement propice, notamment de créer un cadre réglementaire favorisant l’octroi et la cession des droits de Propriété Intellectuelle, de permettre des synergies entre les différents plans stratégiques, d’élaborer des programmes soutenant la politique de recherche et d’innovation et de mobiliser les fonds nécessaires pour leur implémentation. 
 
Les systèmes de recherche et d’innovation de part le monde connaissent des mutations profondes, et il s’avère que les systèmes les plus performants sont ceux qui se déploient en réseau ou méta-organisation. La Tunisie gagnerait à s’en inspirer et à s’insérer dans des systèmes globaux à même de lui donner accès aux connaissances et technologies critiques pour la mise en œuvre de sa future politique publique de recherche et d’innovation, au bénéfice des filières et/ou créneaux stratégiques formellement identifiés et qui présentent de grands défis pour le futur de notre pays. 
 
L’attente est aujourd’hui forte pour une politique publique de Recherche et Innovation consistante et volontariste.  Elle devra adresser d’une manière claire et sans ambigüité les éléments non exhaustifs suivants:
  • Les grandes orientations stratégiques en matière de modèle de développement par l’innovation, avec exposition des approches générales et identification des filières clefs et les couples Technologies/Marchés cibles à promouvoir en priorité.
  • Caractérisation du périmètre d’intervention de l’Etat et champs d’application de l’Intérêt général en matière d’innovation et des synergies entre les acteurs, bénéficiaires, porteurs et/ou garants de cet intérêt général.
  • L’identification et le développement de sources d’informations décisives qui serviront au monitoring des projets et programmes qui émaneront de la planification stratégique, mais aussi de la prospective scientifique et technologique pour anticiper les tendances lourdes et les besoins du futur.
  • L’impact mesurable et les entités qui seront chargées de la planification stratégique et du pilotage dans le cadre d’un modèle de gouvernance transparent et inclusif. 
  • Les instruments d’incitations aux transferts de technologies, sous toutes les formes, acquisition/cession de licences, l’essaimage scientifique (création de Research Based Spin-Offs) avec un focus sur la responsabilité de l’Etat dans la veille normative et la production de normes et standards locaux à même de protéger nos marchés, sans nos isoler du monde.
  • Enfin, il y a lieu de communiquer sur les choix et les motivations qui ont présidé à la politique publique d’innovation, et les évaluer publiquement, pour garantir l’adhésion des parties prenantes, et les mobiliser dans la mise en œuvre. Un point fondamental sera de  favoriser la mutation des incubateurs et accélérateurs d’affaires en foyers d’innovation PPP1, contribuant d’une manière effective à l’Innovation Value Stream. 
Ne perdons pas de vue que quand bien même l’Innovation serait une affaire d’Etat, la mise en œuvre et la réussite dans ce domaine reste tributaire de la rencontre entre les entrepreneurs, les chercheurs et les investisseurs qui sont prêts à prendre des risques et faire des sacrifices pour apporter une nouvelle réalité pour leur pays.
Mondher Khanfir
1) Partenariat Public Privé
i )La Tunisie est classée 78ème sur 143 d’après le Global Innovation Index 2014

 

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