L’avenir démographique tunisien en question
Voici une étude qui ne manquera pas d’intéresser nos chercheurs et nos décideurs. Elle est signée Adel Bousnina,enseignant-chercheur à la Faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, auteur de plusieurs communications et de deux ouvrages :Le Littoral et le désert tunisiens. Développement humain et disparités régionales enTunisie (L’Harmattan, 2012)et Le Chômage des diplômés en Tunisie (L’Harmattan, 2013). Son dernier ouvrage Population et développement en Tunisie vient de paraître à Paris toujours chez L’Harmattan. Un quatrième travail, intitulé Quelques aspects du développement en Tunisie, est sous presse.
Relever toutes les interrelations et autres interactions susceptibles d’exister entre la population d’un pays et son développement est une vraie gageure. Le jeune enseignant-chercheur tunisien ne le sait que trop. Dans son nouveau travail, iln’a pas manqué de prendre soin, dès son Introduction, de signaler «la complexité de cette question» et la nécessité pour lui de l’aborder sous l’angle d’une étude sectorielle:
«… Le choix de l’approche sectorielle peut être expliqué d’une part par la disponibilité des données statistiques sectorielles et d’autre part par l’importance de certains secteurs (tels que l’emploi et l’éducation), en étroite relation simultanément avec la diminution de la croissance démographique et avec le développement.» (p.20)
Il faut dire pourtant que les travaux de ce genre ne manquent pas mais l’analyse de A. Bousnina a le mérite de combler certaines lacunes par rapport à d’autres ouvrages de référence comme celui dirigé par J.Vallin et T.Locoh, Population et développement en Tunisie : la métamorphose (Cérès, Tunis, 2011).
Et de ce fait, son choix d’opter pour une approche sectorielle s’est révélé, en la matière, très judicieux dans la mesure où il lui a permis de réaliser une étude originale tenant compte d’aborddes diverses théories démo-économiques ayant émaillé cette problématique ‘population/développement’ depuis l’antiquité jusqu’à nos jours. Dans ce premier chapitre, A.Bousnina se penche en particulier sur le courant malthusien et ses principales conclusions, à propos de la baisse de la fécondité considérée comme facteur stimulant essentiel du progrès et du développement, thèse que le courant néo-antimalthusien n’a pas manqué de contredire.
Après avoir passé en revuedans la deuxième partie de son ouvrage l’évolution de la mortalité et la baisse de la fécondité en Tunisiedepuis l’indépendance, A.Bousnina conclut:
«Le fléchissement spectaculaire de la fécondité et la transformation du comportement procréateurdes femmes tunisiennes sont déterminés par la conjugaison de plusieurs facteurs qui affectent-d’une manière directe ou indirecte- la fécondité.» (p.113). Il cite à cet égard le prolongement du célibat, le recul de l’âge au premier mariage, la politique démographique, et autres réformes sociales et législatives ayant favorisé l ‘émancipation de la femme tunisienne.
Les conséquences de ce fléchissement de la fécondité en Tunisie constituent la troisième partie de l’ouvrage. D’après A.Bousnina, elles sont importantes « à plus d’un titre » en premier lieu sur le plan démographique dans la mesure où les effets de la limitation des naissances s’ajoutent à «l’impact structurel irreversible lié à la structure par âge de la population qui connaît un accroissement de la proportion d’âge actif et un vieillissement progressif» (p.159).
D’une manière générale, la maîtrise de la fécondité a eu desrépercussions économiques favorables sur la baisse très sensible du chômage etsur l’amélioration de la scolarité dans le pays. Elle a en outre permis la réalisation d’une «balance positive», générant des investissements «vers la satisfaction des besoins de la population (tant quantitatifs que qualitatifs)» (p.159)
Dans la quatrième partie de ce travail, consacrée cette fois, à la démographie régionale, A.Bousnina s’est penché sur les inégalités sociodémographiques. En effet, bien que la baisse de la fécondité ait touché tout le pays, de nombreuses disparités existent encore entre les régions:
«Le déséquilibre démographique est flagrant en Tunisie…Le littoral-qui ne représente que moins de 30% de la superficie-concentre plus de 70% de la population totale», (p.163) cette concentration touchant en effet essentiellement deux régions : Le Nord-Est (Avec le District de Tunis) et le Centre-Est (Le Sahel et Sfax).C’est la région de Sousse qui a enregistré en 2014 le taux d’accroissement annuel moyen (le TAMM) le plus élevé (2.17).
Ce déséquilibre entraîne dans son sillage des disparités régionales sur le plan de la santé comme le confirme la répartition des lits hospitaliers. Au niveau de la mortalité, bien que la baisse ait touché tout le pays, A.Bousnina note néanmoins «l’existence de 2 régions qui sont toujours aux antipodes l’une de l’autre, en matière de développement sanitaire. Il s’agit d’un côté, de Tunis et Sousse et de l’autre côté, de Siliana et du Centre Ouest (Les gouvernorats de Kasserine, Kairouan et Sidi Bouzid) (p.179)
Concernant la nuptialité, l’auteur constate un changement notable dans les régions du Sud où l’on a récemment enregistré un recul des mariages précoces aussi bien pour les hommes que pour les femmes.
En revanche, la migration interne s’est généralisée dans toutes les régions, enregistrant une hausse notable depuis les deux dernières décennies, ressentie principalement dans le Nord-Ouest, et récemment dans le Centre-Ouest, région «qui a pu longtemps retenir sa population, du fait de l’importance de l’assiette foncière collective et de la solidarité familiale» (p.195), mais qui devient aujourd’hui la principale zone de départ du pays.
A. Bousnina souligne à cet égard le danger inhérent à l’inégal développement régional:
«… Contrairement à la constatation de plusieurs chercheurs, la migration intérieure et l’exode rural ne tendent pas à diminuer mais ils sont en train de s’accentuer et la «dépopulation» des régions intérieures risque de s’aggraver davantage.» (p.195)
Quant à la migration internationale, elle continue à être le principal facteur de «régulation» de la démographie de la Tunisie dans la mesure où les effectifs des Tunisiens à l’étranger en 2012 ont atteint 1 223, 2 mille, soit 11,3% de la population totale du pays (10 777,5 mille).
La cinquième et dernière partie est consacrée aux résultats d’une longue mais lumineuse enquête menée par l’auteur en 2013 qui inclut une étude et un questionnaire sous forme de 35 tableaux, portantsur les perceptions de certains groupes sociaux, notamment les jeunes diplômés tunisiens, en matière de population et de développement humain.
Comme toute approche scientifique de haut niveau, Population et développement en Tunisiecontient une riche bibliographie et d’innombrables données statistiques.
Adel Bousnina, Population et développement en Tunisie, L’Harmattan, Paris, 2015, 298 pages.
Rafik Darragi
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