News - 14.11.2015

Trop de médias tue les médias?

Trop de médias tue les médias?

La presse tunisienne est sans doute aujourd’hui la plus libre du monde arabe. Malheureusement, cette liberté chèrement acquise n’est pas suffisante pour assurer sa pérennité, compenser la chute des ventes, la baisse des recettes publicitaires, l’insignifiance de l’aide publique, le deficit de formation des journalistes.
Leaders poursuit son enquête sur la presse tunisienne:

Avec 11 quotidiens, 32 hebdomadaires, 40 périodiques, 13 chaînes TV et 46 stations radio auxquels s’ajoutent deux bonnes douzaines de journaux électroniques, le paysage médiatique tunisien est-il saturé? Le bassin publicitaire tunisien est-il suffisamment fourni pour contribuer au financement de tant de supports?

Si pour la presse écrite et électronique, point d’agrément n’est exigé, l’audiovisuel reste assujetti à la licence de la Haica. La haute instance se soucie-t-elle de la viabilité de l’entreprise qu’elle autorise à émettre? Délivre-t-elle «trop» de licences?

Les avis sont partagés

«D’un côté, nous avons des investissements publicitaires  qui se font de plus en plus rares à cause d’annonceurs plus  prudents et plus  méfiants et de l’autre, nous avons une  prolifération disproportionnée du nombre  de médias privés autorisés à opérer à travers des autorisations délivrées par des instances indépendantes supposées être des instances de régulation (l’Inric et la Haica)», déplore Lotfi Zeghdana, directeur général de Shems FM. «Ces instances “indépendantes”, ajoute-t-il, ont failli à leur mission d’instances de régulation, en instaurant des cahiers des charges totalement dépourvus de sens, démontrant ainsi une méconnaissance du marché publicitaire et des médias. Certains articles des cahiers des charges et des protocoles d’accord tendent à freiner l’investissement de façon générale et les investissements publicitaires en particulier... Il faudrait annuler les cahiers des charges mis en place par la Haica et arrêter la délivrance d’autorisations d’émettre jusqu’à la publication définitive du résultat de l’étude sectorielle».

«Un petit détour par les licences “distribuées” par la Haica s’impose également, souligne pour sa part Olfa Tounsi, fondatrice de Cap FM. Nous sommes en effet amenés à faire face à un encombrement et bien souvent à un monopole de la scène médiatique de la part de chaînes télévisées et radios privées ne répondant à aucune norme légale, se permettant néanmoins de nous pousser dans une concurrence déloyale et immorale».
Naoufel Ben Rayana, fondateur d’Express FM, est plus nuancé. «L’octroi (parfois démagogique) des licences pour des radios «régionales» n’obéit pas à une logique économique et démographique puisqu’on oublie que 70% de la population tunisienne vit dans les régions côtières, déclare-t-il à Leaders. Il ne faudrait pas perdre de vue que la population (donc l’audience) de certains gouvernorats réunis ne dépasse pas celle d’un seul quartier populaire de Tunis ou à la périphérie des grandes villes. On oublie souvent qu’un média est avant et après tout une entreprise qui a des charges (surtout fixes) importantes qu’elle devra couvrir par des recettes conséquentes. Et, donc, elle a besoin de taille minimale critique pour survivre!».

«Cela dit, affirme-t-il, je suis dans l’absolu pour la liberté de création de médias, et d’entreprises en général, et que le meilleur gagne. Toutefois, le corollaire à cette liberté est de ne pas freiner le développement des stations existantes en les empêchant d’aller de l’avant dans leur croissance interne ou externe. Alors que, si on regarde de près les nouveaux cahiers des charges des radios et télés, on verra que certains articles sont d’une  époque révolue et à mon avis, ils ne vont pas tenir longtemps face à la réalité économique, face aux avancées technologiques du secteur et face au droit de la concurrence, etc. Les restrictions imposées aux médias au niveau de leurs actions économiques, au lieu de protéger la scène médiatique, menacent leur indépendance éditoriale et financière et favorisent l’entrée d’affairistes aux intérêts douteux dans le secteur!».

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