Rafaa Ben Achour : Hommage, parcours et réflexions (En photo et vidéo)
Allocution du Pr Rafaa Ben Achour, Professeur émérite de la Faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis, à l’occasion de l’hommage qui est lui est rendu par la Faculté le samedi 16 janvier 2016.
Mon émotion est grande ; ma gratitude aussi. Je ne pouvais être insensible à la fidèle amitié que vous m’avez témoignée ni à l’évocation de nos souvenirs communs, expression d’un partage qui repose tant sur l’échange intellectuel, que sur la controverse et les plaisanteries.
À mes collègues, à M. le Doyen Lotfi Chedly, au personnel administratif, à ceux qui m’ont tant donné, qui m’ont enseigné la rigueur, l’amour et le plaisir d’apprendre et d’échanger : je pense à mon père, à mon grand-père, à mes instituteurs, à mes professeurs ; aux étudiants et aux chercheurs à qui j’ai essayé de transmettre un certain savoir et le respect de ce savoir, à vous tous qui êtes là, je dis un grand merci, un merci à la mesure des éloges quelque peu immérités dont vous m’avez gratifié mais qui, je ne peux que l’avouer, m’ont fait plaisir et m’ont beaucoup ému.
Je suis, aujourd’hui, comblé, vraiment comblé car, outre les témoignages d’amitié qu’il porte en lui, cet ouvrage se caractérise par sa polyphonie. En effet, des voix que ne séparent ni les différences d’âge, ni les frontières s’interrogent et se répondent parfois. Grâce à vous, mes chers étudiants, grâce à vous, mes chers collègues, cet ouvrage outrepasse les questions nationales et régionales pour mettre en lumière nos interrogations communes, nos inquiétudes communes et nos espoirs communs. Dans un monde où s’élève des murs, où le rempart identitaire tue la pensée, cet échange entre universitaires « du monde » me laisse croire qu’il est encore possible de construire un monde où l’on parle non pas de choc des civilisation mais d’échange culturel.
Je voudrais remercier les prestigieux membres du Comité d’honneur qui ont accepté de parrainer cet ouvrage si riche et si divers, et dire aux membres comité éditorial, je citerai Hajer Gueldich, Sarra Maaouia et Mouna Kraiem, qui ont mené à bien cette vaste entreprise. Sans leur détermination, leur dévouement et leur estime comment imaginer que tant de collègues et d’amis de différents pays me fassent don de leur amitié et de leur réflexion.
Je voudrais enfin remercier l’éditeur de ce recueil, la Konrad Adenauer Stiftung, qui a accepté d’assumer cette tâche difficile et de surmonter les difficultés de tous ordres. Il a fallu rien moins que la détermination de Hardy Ostry.
Mesdames, Messieurs ;
La cérémonie qui nous réunit aujourd’hui et le volumineux ouvrage que vous venez de m’offrir constituent le couronnement d’une longue carrière professionnelle, estimée très exactement par la CNRPS à 34 ans et 9 mois. En fait, cette carrière se poursuit à ce jour. À la faculté des sciences juridiques, politiques et sociales de Tunis en tant que professeur émérite et directeur honoraire de l’Unité de recherche en droit international, juridictions internationales et droit constitutionnel comparé ; et également à la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples, en tant que juge, je tâche de poser ma petite pierre au gigantesque édifice que nous nous devons de construire tous ensemble.
Ma carrière universitaire a débuté le jour où j’ai, pour la première fois, franchi le seuil de la Faculté de droit et de sciences politique et économique de Tunis, au mois d’octobre 1973, pour entamer une licence en droit. J’ai eu alors l’intuition que toute ma carrière allait être dédiée à l’Université et à la recherche.
Licencié en droit public, en juin 1977, je m’inscris au DES de droit public en 1978. Fortement influencé et marqué par les enseignements de finances publiques dispensés par Jean-Claude Hélin, je m’engage dans la rédaction d’un mémoire sur le trésor public. En 1979, je m’oriente vers le DES de science politique et suis recruté, après l’obtention de ce diplôme, en qualité d’assistant-délégué au Centre d’études, de recherche et de publication de la Faculté(dirigé par Mohamed Charfi) et je me vois octroyé la direction de deux groupes de travaux dirigés du cours de droit constitutionnel qu’assurait alors notre très regretté Abdelfattah Amor. C’est là, au sein de l’équipe pédagogique qu’il dirigeait que j’apprends mon nouveau métier.
En novembre 1984, un jury présidé par le Doyen Sadok Bélaid et composé entre autres des professeurs Georges Abi Saab et Abdelfattah Amor, me décerne le doctorat d’Etat en droit. Trois ans plus tard, en mars 1987, le jury présidé par feu Abdelfattah Amor et composé de Jean-Claude Hélin, Francis Delpérée, Sadok Chaabane et Abderraouf Mahbouli m’accorde l’agrégation.
Ainsi, l’hommage que vous me rendez aujourd’hui s’adresse à tous mes maîtres. Je viens d’en évoquer certains. Permettez-moi d’en citer d’autres : Jean Verges, Jeanne Lajili, Mohamed Charfi, Farouk Mechri, Abdeljabbar Bsaies, Béchir Belhaj Yahia, Henry Roussillon, Habib Slim, Soukeina Bouraoui, Gérard Farjat, Achille Mestre, Sassi Ben Halima, Mohamed Salah Ben Aissa, Béchir Tékari Michel Camau et Dali Jazi qui m’a réservé, dès notre première rencontre, un accueil fraternel qui m’a marqué à jamais. Je voudrais également rendre hommage à Mohammed Bennouna, Daniel Bardonnet, Jean Laca, Michel Lesage, René Chapus et Jean Rivéro qui ont dispensé des cours spéciaux dans le cadre du DES ou assuré des conférences d’agrégation.
Vous l’avez sûrement relevé, je n’ai sciemment pas cité le nom de l’un de mes plus illustres maîtres, car il l’a été bien avant mon entrée à la faculté. Il s’agit de Yadh Ben Achour qui, par-delà le lien sanguin de la fratrie qui nous unit, a été véritablement mon premier maître, le jour où mon très regretté père l’a chargé de veiller à mon éducation alors que j’étais encore élève à l’école primaire de ma ville natale de La Marsa.
Mesdames, Messieurs ;
En passant du statut d’étudiant à celui d’’enseignant, j’ai essayé de suivre la voie de mes maîtres, de transmettre un savoir et une méthode. A mes étudiants, j’ai voulu apprendre le sens critique, le réflexe juridique et l’honnêteté intellectuelle.
Mesdames, Messieurs ;
Parallèlement à mon activité universitaire, j’ai mené diverses activités associatives dans les domaines juridique, culturel et sportif. J’ai également été appelé à assumer des fonctions administratives, politiques et diplomatiques. Rendre service à l’Etat et aux citoyens a constamment été mon crédo. Cependant, ces responsabilités ne m’ont jamais détaché de mes enseignements et de l’encadrement des jeunes chercheurs et doctorants, notamment dans le cadre de l’Unité de recherche. J’ai toujours veillé à ce que le cordon ombilical qui me rattache à l’université ne soit jamais rompu. J’ai toujours été convaincu que toute autre fonction que ma fonction d’universitaire est temporaire.
Mesdames, Messieurs,
Aujourd’hui, je suis fier de voir que plusieurs des étudiants que j’ai connus, alors qu’ils étaient en première année de maîtrise, sont aujourd’hui des collègues distingués qui ont gravi les différents grades universitaires pour atteindre les plus hauts d’entre eux. Le trio qui a veillé à l’édition du recueil que vous m’offrez aujourd’hui en est l’illustration la plus éclatante.
Le succès de nos étudiants est notre seul et vrai diplôme, leur réussite est la nôtre et la déférence comme la joie dont me gratifient mes anciens étudiants, partout où je vais et chaque fois que je les rencontre, est un plaisir toujours renouvelé.
Mesdames, Messieurs,
J’ai fait valoir, depuis le 1er octobre 2013, mes droits à une retraite anticipée. Beaucoup de mes collègues, de mes étudiants et amis se sont demandé le pourquoi d’une telle décision. C’est le moment de les éclairer :
J’ai quitté l’enseignement pour des raisons de santé, étayées par un rapport médical signé par 3 Professeurs hospitalo-universitaires. J’avais adressé au ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique une demande de décharge du service des enseignements magistraux pour me consacrer exclusivement à la recherche. Mais, M. le ministre a rejeté ma demande sans même me soumettre à une contre-visite médicale et cela malgré mon insistance.
A la même époque, je m’étais engagé politiquement. J’ai rejoint, dès le mois d’août 2012, le groupe, qui sous la direction de Béji Caïd Essebsi, a fondé un nouveau parti politique : Nidaa Tounes. Jamais auparavant je n’avais adhéré à un parti politique, mais compte tenu de la situation qui prévalait dans le pays après les élections de 2011, j’ai jugé cet engagement indispensable. C’est cette raison qui a, semble-t-il, motivé le refus du MESRS de m’accorder la décharge d’enseignement. J’ai alors décidé d’user de mon droit à la retraite anticipée. Là encore la décision a été pénible et longue à prendre. Je passe sur les détails.
Enfin, une troisième raison doit être évoquée. Depuis plus d’une décade, nous assistons à une baisse affligeante du niveau. Cette chute vertigineuse n’est pas le fruit du hasard ou d’une maladie qui frappe toute une génération; nos jeunes sont dynamiques et dotés d’une intelligence normale. Le mal qui frappe notre université est dû à une politique délibérée des autorités, une politique populiste qui, peu soucieuse de la qualité diplômes, s’est appliquée à créer des passerelles et à rendre l’obtention des modules ou Unités de valeurs pour le moins aisée. Le nivellement par le bas, le manque d’exigence et de la scolarisation de l’enseignement universitaire m’ont, je l’avoue découragé et donné le sentiment de participer à la mise à mort de l’université. La transmission du savoir est devenue une tâche de plus en plus ardue et, en dépit des efforts des enseignants, les résultats étaient toujours très en deçà du minimum requis.
Mesdames, Messieurs,
Notre pays a connu, en 2011, une révolution qui a engendré une constitution moderne conforme aux standards internationaux, un paysage politique pluraliste et un régime politique démocratique. Mais, nous sommes confrontés à des défis qui risquent de remettre tous ces acquis en question si nous n’y prenons pas garde. Des réformes structurelles du système éducatif sont plus qu’urgentes. La garantie de la pérennité des institutions démocratiques et de l’Etat de droit passe par cette réforme de l’enseignement. La Tunisie, comme tant d’autres pays, est confrontée au terrorisme, à l’obscurantisme et à l’intolérance et si les solutions sécuritaires s’imposent, une école de la citoyenneté s’impose aussi. Nous devons œuvrer de concert pour que l’écolier, le collégien, le lycéen, l’étudiant et toute la famille éducative s’imprègnent du savoir mais aussi du sens civique et de l’amour de la patrie.
Permettez-moi, mes chers collègues et chers amis, très simplement et très humblement de vous redire combien je suis touché par toutes vos marques d’amitié et de sympathie.
Rafâa ben Achour
Tunis le 16/01/2016
(*) Le titre est de la Rédaction de Leaders
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