News - 22.04.2016

Nos sites et nos monuments sont desservis par le ’’Mois du Patrimoine’’

Nos sites et nos monuments sont desservis par le ’’Mois du Patrimoine’’

Le 18 avril de chaque année, la Tunisie célèbre l’ouverture du ’’Mois du Patrimoine’’. Cette pratique a commencé, il y a 25 ans. A l’échelle nationale, elle est régentée par les deux établissements publics en charge du patrimoine culturel, l’Institut national du Patrimoine (INP) et l’Agence de Mise en Valeur du Patrimoine et de Promotion Culturelle (AMVPPC). Les Commissariats régionaux de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine élaborent des programmes qui sont en fait ceux de la société civile, subventionnés par l’Administration qui œuvre ainsi par procuration.
Si l’INP et l’AMVPPC mettent l’accent, dans leurs programmes, sur les cérémonies officielles et, parfois, des inaugurations et des conférences données par des chercheurs, les associations culturelles jouissant d’une certaine visibilité ont des programmes très inégaux qui vont de l’animation folklorique aux initiatives hautement originales. Depuis 2011, des universitaires s’expriment, à titre individuel ou collectivement, pendant ou en dehors du ’’Mois du patrimoine’’. Cette démarche citoyenne adossée à l’expertise trouve cette année une nouvelle illustration dans les ’’Journées du Patrimoine tunisien à Paris’’ (22-23 avril).

Avec ses heurs et ses malheurs, la célébration du ’’Mois du Patrimoine’’, a toujours occulté la Journée internationale des  Sites et des Monuments (18 avril) ainsi que la Journée internationale des Musées (18 mai).

La programmation, souvent de dernière minute et peu consistante, du ’’Mois du Patrimoine’’ par les autorités officielles, donne plutôt l’impression qu’il s’agit pour elle d’une corvée, d’un mal nécessaire. Elle fait toujours rater aux Tunisiens l’occasion de communier avec les autres pays en focalisant l’attention, pendant une journée, sur son riche patrimoine en matière de sites et de monuments. L’histoire a pourtant retenu que c’est en Tunisie, précisément à Hammamet qu’a germé l’idée d’une Journée internationale des Sites et des Monuments. C’était en 1982, à l’occasion d’un colloque international organisé par le Conseil international des Sites et des Monuments (ICOMOS). Dès l’année suivante, la proposition a été entérinée par l’UNESCO. Depuis 2001, l’ICOMOS choisit, chaque année, un thème pour célébrer la manifestation qu’il patronne. 

En 2016, le patrimoine du sport est célébré partout dans le monde sauf en Tunisie

Pour l’année 2016, l’ICOMOS a choisi comme thème ’’Le patrimoine du sport’’. Ce choix est fondé sur l’importance du sport dans la formation des corps et des esprits, depuis la nuit des temps. Il est justifié aussi par le fait que l’année 2016 est celle de la célébration, au mois d’août, des Jeux Olympiques à Rio de Janeiro, au Brésil. Ainsi, l’organisation mondiale fait un clin d’œil à la plus ancienne des manifestations sportives internationales. Ce faisant, elle focalise l’attention, de part le monde, sur l’importance du patrimoine universel en matière de site et de monuments se rapportant au sport Dans sa démarche, elle espère toujours être relayée, dans les différents pays, par les comités nationaux de l’ICOMOS.

Cette année, le Comité tunisien de l’ICOMOS est plus inaudible que jamais. Pourtant, en Tunisie, le patrimoine matériel et immatériel relatif au sport ne manque pas. Ses traces de différentes natures jalonnent le territoire et les siècles. Mais faisant fi de tout cela, nos décideurs ont décrété que le 18 avril inaugure la célébration d’un ’’Mois du Patrimoine’’ sous le thème ’’Le patrimoine : créativité et investissement’’. Traité sérieusement, ce thème pourrait être défendable en d’autres circonstances, même s’il ne se distingue pas nettement du thème de l’année dernière (Le patrimoine et le développement régional durable). Il a le grand tort d’occulter le thème choisi, comme chaque année d’ailleurs, à l’échelle mondiale, pour la célébration de la Journée internationale des Sites et des Monuments.

Ce qui était loin d’être imaginé a eu lieu : l’inauguration du Mois du Patrimoine, annoncée par certains journaux de la place depuis le début du mois de février, n’a pas eu lieu. Cela n’était jamais arrivé même au cours des premières années qui ont suivi le 14 janvier 2014. Au bout de la première semaine du ’’Mois’’, version 2016, l’affiche, habituellement conçue pour la manifestation, est inexistante. Assourdissant, le silence n’en est pas moins énigmatique.

Le riche patrimoine tunisien du sport, méconnu et négligé

Dans nos sites et nos monuments, les témoignages les plus anciens sur le sport et les jeux sont gravés dans la pierre et façonnés en monuments et en œuvres d’art. Pour certains, ils sont aussi gravés dans des mémoires encore vives. Les vestiges de  nombreux bains publics de l’époque romaine comprennent ou ont dans leur voisinage des palestres dans lesquelles étaient pratiqués les exercices physiques. Plusieurs sites archéologiques antiques gardent les traces de cirques qui abritaient, il y a près de 2000 ans des courses de chars. Ce type de compétition, très populaire, à l’époque, est représenté dans des mosaïques, évoqué dans des textes littéraires et dans des inscriptions. Des statues d’auriges qui étaient les idoles des grandes foules, à l’instar des footballeurs de notre époque, ont été retrouvées, ci et là. De l’époque antique aussi, datent des inscriptions qui nous parlent de spectacles de boxe, des gravures représentants des jeux et des statuettes représentant des athlètes et … des nageuses en maillot de bain.
D’époques imprécises nous viennent les jeux équestres et de nombreux jeux populaires qui sont encore vivants dans différentes régions du pays. Ils ne sont rappelés que dans quelques rares festivals et parfois dans des fêtes privées. Leurs composantes ne sont toujours pas  inventoriées.

Les associations sportives ont une longue histoire en Tunisie. Elles constituent des éléments non négligeables de l’histoire des quartiers des villes. A l’époque contemporaine, nous les trouvons aussi mêlées à l’éveil nationaliste au cours de l’époque coloniale. Certaines parmi elles ont eu des destinées remarquables : c’est le cas, par exemple, des équipes de joueurs de pétanque de plusieurs localités minières ou centres ferroviaires. Ainsi Bouaouane, petite localité située dans les environs de Boussalem a vu, il y a une quinzaine d’années, son équipe de pétanque remporter le titre de champion du monde. Dans le chapitre des sports individuels, plusieurs noms  de grands sportifs appartenant aux communautés musulmane et juive illustrent la gloire de la boxe et du cyclisme. L’histoire de ces activités sportives a commencé, depuis peu, à intéresser les historiens mais la sauvegarde et la mise en valeur des vestiges matériels et des lieux de mémoires reste encore à faire.

Soyons réalistes : comment espérer de telles enquêtes quand le minimum en matière de sauvegarde et de mise en valeur n’est pas assuré ? Du nord au sud du pays, nos sites et monuments historique offrent, aujourd’hui, un visage où l’incurie et la laideur le disputent à l’illisibilité et l’insécurité.

Neapolis, exemple d’un site hautement original, laissé à l’abandon

L’originalité du site de Neapolis, l’antique Nabeul, commence par son toponyme grec qui signifie ’’La ville nouvelle’’. Même si les circonstances exactes de cette appellation ne sont  pas connues avec précision, il n’y pas de doute qu’une présence grecque a marqué le site avant qu’il ne passe sous la domination carthaginoise puis romaine. Un toponyme d’origine grecque est un fait très rare en Tunisie où l’essentiel des toponymes sont d’origine libyque, d’abord puis en deuxième lieu, phénicienne ou latine.

Une colonie romaine a été fondée à Neapolis, quelques décennies avant l’ère chrétienne, par Jules César ou Octave-Auguste. Avec l’installation précoce des colons romains, la romanisation de la cité côtière a dû être rapide comme en témoigne les inscriptions et les vestiges archéologiques. L’abandon de la cité, au cours  de l’Antiquité tardive en a fait un champ de ruines utilisées, en partie, pour la construction de la ville médiévale qui a été fondée en retrait de la mer. Les empiètements des constructions plus tardives, particulièrement à partir du milieu du XXè siècle ont détruit ou enseveli une bonne partie des vestiges antiques de la cité antique. Des bribes du vaste périmètre urbain de la cité de l’époque romaine sont repérables jusqu’à Sidi Mahersi et même au-delà, en direction de Merezga.

Au lendemain de l’indépendance, seule une petite partie du site a été sauvée par l’Etat. Ce périmètre périphérique par rapport au centre urbain actuel est situé à quelques centaines de mètres au sud du nouveau siège de la municipalité. Il est protégé par une clôture qui longe la route touristique  et rejoint la plage de deux côtés. Même si elle est loin d’être fouillée complètement, cette partie du site offre deux secteurs fort intéressants.

Au nord du site, se trouvent les vestiges de la ’’Maison des Nymphes’’, une très grande demeure dont les nombreuses pièces étaient richement décorées de pavements de mosaïque. Ce décor, étudié, il y a plusieurs décennies, dans une très belle publication de J.-Paul Darmon, date de l’époque romaine tardive. Il témoigne du maintien de la prospérité vers la fin de la domination romaine. Les nombreux thèmes mythologiques qui y sont développés prouvent la survivance du paganisme dans un contexte marqué par le progrès du christianisme.

Dans la partie sud du site, se trouvent des ruines d’aménagements qui se sont superposés du IIIè siècle avant Jésus-Christ au IVè siècle après Jésus-Christ. Les vestiges les plus anciens appartiennent à un habitat punique ; l’époque romaine est représentée par des habitations et surtout par des installations appartenant à une grande fabrique de transformation du poisson. Cette ’industrie’’ dérivée de la pêche  et qui s’adonnait à la fabrication des salaisons  (salsamenta) et à la fabrication d’une sauce à base de poisson (garum), était fortement présente sur les côtes de l’empire romain. Les installations découvertes dans le site de Neapolis comptent assurément parmi les plus importantes de Tunisie. Etudiées, au cours des années 1990, dans le cadre d’un projet tuniso-français, elles ont livré une information scientifique copieuse. Du même projet, date la reconstitution du toit qui recouvre une bonne partie des bassins de macération, les barrières de protection qui protège les visiteurs et une signalétique qui s’avérait indispensable à la compréhension de ruines complexes et d’installation peu habituelles pour les visiteurs.

La signalétique et les aménagements relatifs à la circulation et à la sécurité des visiteurs ont aussi concerné la Maison des Nymphes : escaliers en bois, barrières de sécurité et panneaux signalant les espaces ou se trouvaient les mosaïques qui sont exposées au Musée archéologique de Nabeul, situé au centre-ville. Dans l’une des rues qui longent la Maison des Nymphes, un regard de canalisation d’eaux pluviales et d’eaux usées, datant de l’époque romaine, a été curé et recouvert d’une plaque de verre à côté de laquelle un panneau explique l’aménagement. Avec ses aménagements, le site de Neapolis était, il y a une quinzaine d’années, largement en avance par rapport aux autres sites archéologiques tunisiens y compris les plus prestigieux. Qu’en est-il maintenant ?

Depuis plusieurs années, le site, qui est à peu de distance du centre-ville de Nabeul et des hôtels de cette grande station balnéaire, offre un spectacle de désolation : les vestiges archéologiques clôturés sont envahis par les mauvaises herbes et les déchets de toutes sortes, les escaliers qui assuraient un accès aisé à différents niveaux de la Maison des Nymphes sont délabrés, les câbles métalliques qui servaient de garde-corps autour des bassins de l’atelier de transformation du poisson sont brinquebalants ou totalement enlevés. La sécurité des visiteurs s’en trouve lourdement menacée d’autant plus qu’il n’y aucun gardien sur les lieux. Plus aucun panneau explicatif n’est lisible, au grand désarroi des rares Tunisiens et étrangers qui se hasardent encore sur le site. Le visiteur du site, souvent solitaire,  peut croiser, à tout moment, des poules qui semblent relever d’un élevage en bonne et due forme. S’ajoute à cela, la fermeture du site tous les lundis et en milieu de journée, contrairement à la règle appliquée à la grande majorité des sites archéologiques gérés par l’AMVPPC. L’expérience avant-gardiste engagée sur le site de Neapolis, en matière de viabilisation et de signalétique, a finalement tourné au contre-exemple scandaleux.

De l’autre côté de la rue qui longe le site et qui débouche sur la plage, s’étend un vaste terrain qui comprend des ruines donnant l’impression d’avoir été dégagées plutôt que fouillées, avec une profondeur qui atteint, en certains endroits, près de quatre mètres. Les vestiges reconnaissables laissent voir d’importantes installations thermales et artisanales. Des murs construits, il n’y a pas longtemps, témoignent des tentatives d’accaparement de ce terrain situé dans une zone hautement touristique qui suscite l’appétit des spéculateurs.
A Sidi Mahersi, la zaouia située sur le bord de mer, est construite sur de beaux restes d’une villa maritima de l’époque romaine qui a livré des pavements de mosaïque dont certains se caractérisent par des thèmes très originaux. Ce témoignage précieux sur l’étendue de la ville antique et la régression de la côte n’est ni mis en valeur ni expliqué aux nombreux visiteurs des lieux aménagés en café par l’Association de Sauvegarde de la Médina de Nabeul.  

Le tourisme culturel dont nos décideurs se souviennent quand la destination balnéaire est en berne décollera-t-il avec des sites archéologiques délabrés, incompréhensibles et dangereux pour les visiteurs ? Par ses multiples ramifications, le grave problème de l’abandon des sites et des monuments est, certes, celui de la ministre de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine mais, certainement aussi, celui de tous les ministres qui, de près ou de loin, se trouvent concernés par la gestion du Patrimoine.

En attendant l’ouverture sérieuse du dossier de la gestion de patrimoine, le ministère de la Culture et de la Sauvegarde du Patrimoine qui a échoué à gérer pertinemment tout un ’’Mois du Patrimoine’’ serait bien inspiré de renoncer à cette recette peu productive. Il gagnerait à s’occuper, humblement et sérieusement, de la Journée internationale des Sites et des Monuments et de celle des Musées. Qui ne peut le plus devrait essayer le moins.

Houcine Jaïdi
Professeur à l’Université de Tunis

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