L’historien Khaled Melliti couronné par l’Institut de France
Ils étaient plusieurs à être encore en compétition. Mais c'est Khaled Melliti, jeune historien tunisien, qui a été couronné par le prix de la Fondation Stéphane Bern pour l’Histoire 2016, ce jeudi 5 janvier 2017, grâce à son premier ouvrage académique « Carthage. Histoire d'une métropole méditerranéenne ».
Le prix a été remis par le Président de la fondation Stéphane Bern, et en la présence du professeur Michel Zink, Secrétaire perpétuel de l’Académie des Inscription et Belles Lettres ; du professeur Gabriel de Broglie, Chancelier de l’Institut de France ; de son Altesse impériale Farah Pahlavi, épouse du Chah Mohammed Reza Pahlavi et de Madame Brigitte Trogneux, épouse d’Emmanuel Macron.
Docteur en Histoire ancienne et spécialiste du monde phénico-punique, Khaled Melliti ne cesse de s’interroger dans ses recherches académiques sur la place de l’hellénisme dans l’évolution politique de Carthage. L'ambition de traiter d'un sujet central pour l'histoire de la Méditerranée antique, mérite l'attention surtout que la période envisagée est l'une des plus riches de l'histoire de la méditerranée occidentale.
Tiré en grande partie de la thèse de doctorat de l'auteur, soutenue à l'université Paris IV-Sorbonne, le livre de Khaled Melliti, qui repose sur une bibliographie variée, mélange entre les données des sources classiques et les derniers résultats de l'archéologie.
Dans son introduction, d'une quarantaine de pages à peu près, Khaled Melliti nous rappelle que la fondation de Carthage, l'ancienne Qarthadašt, nom qui signifie « ville nouvelle », s'insère dans le phénomène de la « colonisation phénicienne », un mouvement de population qui, des côtes libanaises, traversa la mer pour fonder nombre d'établissements dans la partie centrale puis occidentale de la méditerranée.Il nous rappelle aussi les différentes traditions qui rapportent la date de la fondation de Carthage et le récit légendaire de l'installation des Tyriens, les nouveaux habitants du site, dans une terre bien lointaine de leur patrie, puis il met l'accent sur la postériorité de ces informations aux événements racontés.
Dans son premier chapitre, l'auteur étudie le caractère maritime et commercial de la puissance carthaginoise qui se heurte après la défaite d'Himère, 480 av. J-C., aux entreprises des Grecs de Sicile.Puis il examine les réformes militaires et urbanistiques réalisées par les dirigeants de la métropole dans une époque marquée par la montée des menaces grecques et macédoniennes.
La troisième partie du livre explore l'insertion de Carthage dans la Koinè hellénistique.Selon l'auteur, ces relations gréco-carthaginoises prirent une tournure résolument politique lorsque l'oligarchie de la ville d'Élissa eut à gérer la perte de l'alliance étrusque.
La quatrième partie de l'ouvrage fouille les causes de la première guerre punique (264 à 241 av. J.-C.).L'auteur met l'accent sur les raisons géostratégiques. Les Carthaginois occupant l'ouest de la Sicile, cherchèrent à établir leur monopole sur l'île toute entière. Ils prirent la décision de s'emparer de la ville de Messine, qui demanda de l'aide auprès des Romains. C'est ainsi que les légions romaines débarquèrent à Messine dans le but de la défendre.
La cinquième partie analyse l'époque de l'entre les deux guerres (241 à 218 av. J.-C.).Ayant perdu ses possessions en Sicile, Carthage se tourna vers l'Espagne, qui avait été le siège de l'ancienne colonisation phénicienne.Un premier but de l'entreprise espagnole fut sans aucun doute celui de procurer à la ville de Carthage des métaux, pour pouvoir affronter le paiement des dettes de la première guerre « dite punique ».La conquête des territoires espagnols, qui se situe juste après la guerre des mercenaires, fut l'œuvre de la famille des Barcides.L'entreprise ibérique eut un bon succès. À la mort d'Hamilcar, en 229 av. J.-C., Asdrubal est élu général par l'armée.Celui-ci étendit son pouvoir le long de la côte sud-ouest où il fonda une nouvelle Carthage, Carthago Nova, Carthagène, qui devint en quelque sorte sa propre capitale.
Le sixième chapitre étudie la deuxième guerre punique (218 à 202 av. J.-C.).Dans un contexte historique très critique, le chef carthaginois Hannibal s'empare de la ville de Sagonte, alliée à Rome.Hannibal, partant d'Espagne en 218 av. J.-C., gagne l'Italie par la voie terrestre pour y porter la guerre avec une armée équipée de 37 éléphants.Ses victoires successives (dans le Tessin, sur la Trébie, fin 218 av. J.-C.), en Cisalpine, puis au lac Trasimène (217 av. J.-C.), à Cannes (216 av. J.-C.), amènent les alliés italiques du sud à lâcher Rome au profit d'Hannibal, qui obtient aussi l'alliance de Philippe V de Macédoine.En 212 av. J.-C., le général carthaginois réussit à prendre Tarente et à battre les Romains à Capoue.Il est cependant bloqué en Italie méridionale, sans renforts de Carthage et ne peut empêcher Rome de reprendre la ville de Capoue (211 av. J.-C.).Syracuse et toute la Sicile, qui avait pris le parti de Carthage, tombent aux mains du consul Claudius Marcellus, et Publius Cornelius Scipion, passé en Espagne, prend Carthagène (209 av. J.-C.).Hasdrubal, frère d'Hannibal, venu avec une armée de renfort, est battu et tué sur les bords du Métaure (207 av. J.-C.). Hannibal se replie sur Crotone. Rome attaque Carthage en Afrique même, où Scipion débarque en 204 av. J.-C. et trouve un allié en la personne du prince numide Masinissa.Hannibal est rappelé en Afrique (203 av. J.-C.). Magon, un autre frère d'Hannibal, tente vainement de créer une diversion en débarquant en Ligurie. Hannibal est vaincu par Scipion à Zama (202 av. J.-C.).Carthage, vaincue, cède l'Espagne, livre sa flotte, promet de verser 10.000 talents et s'engage à n'entreprendre aucune guerre sans le consentement de Rome (201 av. J.-C.). Peu après, elle exile Hannibal.
Dans le dernier chapitre du livre, l'auteur passe sous son microscope la vie politique carthaginoise, les réformes structurelles de l'après-guerre et le contexte historique de l'avant troisième « guerre romaine ».
À cet égard, on peut dire que la portée de ce livre transcende largement le cas spécifique des spécialistes du monde phénico-punique pour atteindre un public plus large.On se plaira à souligner que, sur différents plans, l'ouvrage de Khaled Melliti fait preuve d'une grande maturité historiographique et d'une fidélité à la démarche méthodologique des pères fondateurs des études phéniciennes et puniques.Nous laisserons au lecteur le soin de prendre directement connaissance des sept dossiers proposés par l'auteur.
Mohamed Arbi Nsiri
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