Banque de co-développement en Méditerranée : les scénarios de la Commission Milhaud
S’il réserve son rapport au Président Sarkozy qui l’avait mandaté par une lettre du 17 décembre 2009, pour constituer une commission chargée « d’étudier la possibilité de créer une banque dédiée au financement du codéveloppement en Méditerranée», M. Charles Milhaud, n’en révèle pas quelques aspects. Invité des Entretiens de la Méditerranée, il a en effet livré, mardi à Hammamet, devant le ministre de l’Industrie et de la Technologie, M. Afif Chelbi et près de 500 chefs d’entreprises venus des deux rives, les principales réflexions.
Cette commission de onze membres (dont le Tunisien, M. Khalil Ammar, PDG de la BFPME, composée de professionnels et de spécialistes du secteur financier, dira-t-il, a travaillé dans une période de temps resserrée. Ses travaux ont été rythmés par des déplacements sur place dans la plupart des pays méditerranéens, et par plusieurs séances plénières de travail tenues entre mars 2010 et mai 2010.
Les travaux menés ont permis de dresser un tableau des financements actuels des pays du sud et de l’est de la Méditerranée, et d’établir un bilan des forces et des faiblesses de l’existant. Sur la base d’analyses strictement techniques et professionnelles, la commission estime être en mesure d’avancer une proposition de réforme ambitieuse, apportant une valeur ajoutée par rapport aux instruments existants : la création d’une institution financière euro-méditerranéenne de codéveloppement par « filialisation » des activités méditerranéennes de la Banque européenne d’investissement (BEI).
Le codéveloppement apparaît en effet comme le cadre adapté pour obtenir une aide extérieure susceptible de stimuler un essor économique dans le sud méditerranéen, à même de réduire les écarts de niveaux de vie entre les deux rives de la Méditerranée, et de fournir un relais de croissance de long terme pour les pays européens.
Les financements extérieurs publics de toute nature en faveur des pays du sud et de l’est de la Méditerranée se sont élevés à environ 20 Md€ en 2009. L’Union européenne est le premier intervenant dans la zone avec 2 Md€ d’aides du budget communautaire et 5 Md€ de financement de la BEI. L’AFD est devenue le premier partenaire bilatéral, avec un volume d’engagement annuel en passe de dépasser le seuil de 1 Md€.
Ce volume significatif apparaît faible en regard des besoins d’investissement de la région puisqu’inférieur d’un facteur 10 aux estimations disponibles de la seule demande d’infrastructures. La principale limite des flux de financements externes publics est cependant moins son insuffisance quantitative que ses déficiences qualitatives. Le diagnostic déjà effectué à plusieurs reprises sur le manque de coordination entre bailleurs de fonds, le manque d’appropriation par les pays du sud, et le manque de soutien direct au secteur privé, demeure pour l’essentiel valide, malgré les réelles améliorations constatées, en particulier dans le cadre des activités de la BEI et l’effort important consenti à travers la FEMIP. La Méditerranée se trouve ainsi dans la situation paradoxale d’être sans doute la région qui a le plus d’intervenants actifs dans sa zone, tout en étant la seule à ne pas bénéficier d’une institution dédiée qui catalyserait les efforts des uns et des autres.
Quant à la réduction des écarts quantitatifs entre les besoins et les ressources, elle passe principalement par une mobilisation des ressources d’épargne internes comme par une amélioration de l’attractivité des pays vis-à-vis des investissements directs étrangers. Cette double ambition est maintenant réalisable puisque la grande majorité des pays de la région ont réussi une remarquable stabilisation macro-économique, et se sont engagés dans des réformes institutionnelles favorables à l’initiative privée, même si des réformes structurelles restent à mettre en place pour accroitre la confiance des investisseurs.
Les instruments de financement existants n’ont pas permis de répondre à ces défis et de supprimer les verrous bloquant le financement long de l’économie et l’accès des entreprises, notamment petites et moyennes, au crédit bancaire. Ce crédit reste rare, de court terme, et soumis à de fortes exigences en garantie, du fait d’un système bancaire « surliquide » trop dépendant de ressources de court terme.
Les marchés financiers ne peuvent fournir des voies de financements alternatifs pour le secteur privé. Les marchés obligataires restent peu profonds, peu liquides et dominés par les titres publics, tandis que les marchés d’actions sont embryonnaires dans une majorité de cas.
L’ensemble de ces contraintes brident le dynamisme du secteur privé et donc empêchent une accélération durable de la croissance des pays de la zone alors même que les institutions de financement existantes ne sont pas adaptées opérationnellement pour s’attaquer avec succès à ces difficultés.
Le scénario proposé est donc ambitieux
Face à ce diagnostic, la commission estime que la création d’une institution de codéveloppement euro-méditerranéenne à travers la filialisation des activités méditerranéennes de la BEI est le scénario à privilégier .Une autre option envisagée , la création d’une institution ex nihilo, n’est d’ailleurs pas recommandée par la commission qui a estimé qu’elle demanderait aux actionnaires potentiels un effort trop important dans les circonstances budgétaires actuelles.
Elle a suivi, en proposant ce scénario, une approche purement professionnelle soumise à quelques principes cardinaux : l’utilité d’une éventuelle nouvelle institution est subordonnée à la mise en place de réformes institutionnelles et économiques favorables à l’initiative privée; elle doit être complémentaire en offrant des activités peu ou mal assurés par les autres institutions et ne pas ajouter aux difficultés de coordination ; elle doit être subsidiaire par rapport au secteur privé et ne pas s’y substituer ; enfin elle doit être un instrument de transition et d’accompagnement.
Le caractère de codéveloppement, assuré par l’association des pays et des experts du sud de la Méditerranée à la direction et la gestion de cette nouvelle institution, est selon la commission un garant de l’efficacité opérationnelle accrue de la nouvelle institution par rapport aux existantes. La dernière règle suivie par la commission est que l’éventuelle institution financière doit être notée AAA par les agences de notation, ce préalable n’étant pas contournable pour assurer sa capacité financière et donc son efficacité sur le terrain.
Cette nouvelle institution serait axée sur le soutien au secteur privé, à travers notamment l’aide aux financements longs, l’accompagnement des PME dans l’accès au crédit bancaire, le développement des garanties, l’animation des marchés financiers, le soutien aux fonds d’investissement innovants et le transfert de technologie financière par l’assistance technique. Elle reprendrait par ailleurs le cadre d’activité de la FEMIP, pour assurer une cohérence opérationnelle avec la BEI.
Cette dernière serait en effet l’actionnaire de référence de cette nouvelle institution, avec une participation de l’ordre du tiers du capital, niveau que la commission estime souhaitable. Ce niveau permettrait en effet d’assurer à la fois un caractère de véritable filiale, constituerait un socle pour obtenir un niveau de capital AAA majoritaire et serait compatible avec l’exigence d’association des pays du sud de la Méditerranée au capital conforme au principe de codéveloppement.
La commission est consciente que ce scénario demandera un effort budgétaire important aux actionnaires, Etats ou établissements financiers publics. Le capital souscrit devrait être supérieur à 10 Md€ pour assurer un volume d’engagements annuels autour de 2 Md€. Les nouveaux domaines d’activités que la nouvelle institution prendrait en charge impliqueraient un accroissement du niveau de prise de risque, comparé aux institutions existantes, qu’il serait nécessaire de compenser par une solidité financière accrue. Un taux de capital libéré autour de 40% du souscrit apparaît dans ce contexte nécessaire à la commission.
Le scénario proposé est donc ambitieux. Une autre option envisagée (option n° 1), la création d’une institution ex nihilo, n’est d’ailleurs pas recommandée par la commission qui a estimé qu’elle demanderait aux actionnaires potentiels un effort trop important dans les circonstances budgétaires actuelles.
L’option retenue in fine est fondamentalement justifiée aux yeux de la commission par le fait qu’elle est la seule adaptée à l’ampleur des défis posés par l’accélération nécessaire de la croissance des pays du sud de la Méditerranée. Historiquement, les efforts d’intégration régionale se sont toujours accompagnés de la création d’un « bras armé » financier, à commencer par l’Union Européenne avec la BEI, puis avec la BERD. La commission estime donc qu’une Union pour la Méditerranée dépourvue d’un instrument financier spécifique verrait sa portée singulièrement diminuée. Si les pouvoirs publics en décidaient autrement, la commission propose à titre subsidiaire l’option de création d’un véhicule de coopération entre investisseurs publics de long terme méditerranéens (option n° 3). Mais la commission considère que cette option « de second rang » ne peut être jugée comme répondant à l’ampleur des défis et problèmes qu’elle a diagnostiqués.
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