El Hadhra … absente
D’habitude, le micro des télévisions a de la difficulté à recruter des festivaliers pour partager avec les téléspectateurs leur avis à la sortie des spectacles de Carthage. Hier soir, pourtant, les volontaires se pressaient pour exprimer tout le mal qu’ils ont pensé du spectacle d’El Hadhra 2010 qu’ils étaient venus, si nombreux, applaudir. Un homme qui s’était avancé pour dire qu’il a adoré a même failli être lynché et la jeune présentatrice a rapidement fui la foule qui ne cessait de gronder autour d’elle. Retour sur une soirée qui n’a pas tenu ses promesses …
L’ambiance était familiale et festive ce soir à Carthage. La réputation d’El Hadhra et de son créateur Faddhel El Jaziri n’est plus à faire et la tradition soufi a toujours rassemblé un public aux degrés de croyances diverses, à la recherche d’une forme de spiritualité universelle venue de la nuit des temps. La scène était immense, reléguant les chaises aux premières rangées des gradins et promettant un spectacle grandiose avec près de 200 protagonistes entre chanteurs, danseurs, musiciens et figurants.
Les premières notes sont rapidement couvertes par les you you des spectatrices venues chanter les louanges de leurs saints préférés et l’amphithéâtre, au grand complet, est traversé par cette vibration des sens que réveillent en chacun des nous les chants nostalgiques soufis qui s’élèvent, purs, simplement portés par les voix mélancoliques de leurs interprètes.
Quand le mélange des genres atteint ses limites
Mais l’on a du mal à reconnaître les airs qui ont fait le succès des sessions précédentes d’El Hadhra non seulement parce que leur rythme a été repensé mais aussi parce qu’ils sont accompagnés d’instruments insolites venus, allez disons-le, parasiter les repères rythmiques habituels (guitare électrique, saxophone, violoncelle, etc.). Le public est conciliant et attend de vibrer aux sons de cette Hadhra 2010 car après tout pourquoi pas ? S’il y a quelqu’un qui est bien placé pour revisiter le patrimoine traditionnel soufi et y introduire de nouvelles musicalités venues d’ailleurs, c’est bien Fadhel Jaziri. N’empêche, l’exercice est périlleux ! Et c’est comme si on regardait des derviches tourneurs évoluer sur des sons techno ou des chants gospel sur des rythmes jazzy. Le public n’a pas accroché. Le mélange des genres a atteint ses limites. Les bendirs auront beau se chauffer et se réchauffer, l’assistance demeurait froide et insensible. Le son électrique des guitares couvrait, celui plus subtil, des instruments de musique traditionnels tunisiens et n’arrivait pas à créer une harmonie avec eux.
On attendait les beaux mouvements d’ensemble des danseurs d’El Hadhra. Ces derniers sont restés bien immobiles ce soir-là sautillant parfois sur place puis partant chacun de leur côté pour des évolutions individuelles. De l’autre côté, des danseuses aux tenues bigarrées, d’inspiration asiatique, dansaient sur pointes, chacune dans son monde. Des chanteuses, dont la présence scénique était assez faible, s’avançaient parfois pour chanter sans parvenir à retrouver cette communion avec le public si caractéristique des spectacles soufi. Le public, si patient, se mit carrément à siffler lorsqu’une chanteuse au look Cour de Versailles du 18ème siècle, se mit à entonner des airs lyriques. Les gradins se vident, nous perdons rapidement nos voisins de droite puis de gauche alors qu’un jeune homme demandait à son ami si le spectacle allait bientôt commencer.
Même la mariée sur sa jahfa, qui avait revêtu une tenue à la Cléopâtre laissa le public insensible. La fin du spectacle sauva quand même la soirée avec Boussaâdia qui se débattait enchaîné et un retour à des rythmes plus purs. Pour leur salut final, les artistes de la Hadhra 2010 se sont inclinés devant des gradins à moitié vides. Par respect pour eux et leurs efforts, les spectateurs ont applaudi, presque malgré eux, déçus, avec le sentiment d’avoir été trompés sur le type de spectacle annoncé. En effet, cette expérience musicale est une très bonne initiative en elle-même mais le public qui a rempli Carthage ce soir-là n’était pas le bon. Il est venu retrouver le chant traditionnel soufi qu’il a tant aimé dans les Hadhra précédentes et ne s’attendait pas à le voir ainsi défiguré. Peut-être un autre titre que celui d’El Hadhra ou une indication que le public est convié à un autre univers aurait épargné aux spectateurs et aux artistes la frustration de cette soirée qui n’a pas tenu ses promesses.
Anissa BEN HASSINE
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"Par respect pour eux et leurs efforts, les spectateurs ont applaudi, presque malgré eux, déçus, avec le sentiment d’avoir été trompés sur le type de spectacle annoncé" Inexact. par respect pr eux et leurs efforts, ainsi que la beauté du spectacle, des spectateurs ont applaudit. Ils n étaient pas déçus, c était de bon coeur, ils ne se sentaient nullement trompés et au contraire avaient apprécié ce mélange de culture et de musique. Par contre ils s'en allaient déçus par l attitude de leur compatriote et leur manque de savoir vivre.
Nous avons trouvé ce mélange des genres remarquable! et n'avons pas compris que le public soit si attaché à sa tradition. "Faire du neuf avec du vieux" est un exercice périlleux auquel nous avons adhéré sans modération, les voix étaient sublimes, les instruments en harmonie, les costumes élaborés avec recherche, la mise en scène étonnante . Ce spectacle restera dans nos mémoires comme la nouba, comme tallathoun. Nous sommes des inconditionnels de Fadhel Jaziri qui bouscules les esprits. Et n'avons qu'un mot à lui dire : continuez! mcb
Monsieur Jaziri aurait du alors appeler son spectacle autrement, le tunisien est attaché aux valeurs et à la culture de son pays- l absence de el Hadhra a été vécu comme un manque de la part du spectateur, et je pense que le spectateur a le droit de donner son avis, le spectacle est bien vivant mais sans l osmose avec le public qui s attendait à autre chose -et est rester sur sa faim; peut etre une suite l annee prochaine
Cet article reflète la réalité de l'art tunisien: le refus d'évolution du spectateur ou téléspectateur ou auditeur. ON se borne à reste dans des genres qu n'ont pas évolué depuis des siècles. Pour le rai algérien ou le gnawa marocain ont dépassé les frontières de leurs pays respectifs ? Parce qu'eux, au moins, sont sensibles àl'évolution musicale et évolue avec leur temps. Toutes les musiques traditionnelles du monde sont repensées, modernisées, redisitribués. Dans les compliations de world musique, on trouve de tout sauf la musique tunisienne (du reste quasi absente quand on fait une recherche dans internet, il n'y a qu'à comparer les articles concernant les musiques algériennes, et marocaines, et d'un autre côté, la musique tunisienne :3 lignes). Chers amis, ouvrez vos oreilles à la usique et évoluez avec votre temps. Nous sommes en 2010!!!!
j'y étais..en suis émerveillé par cet esprit de dépassement , cette hantise de rénovation ...par cette recherche sérieuse, approfondie et délicate... Le patrimoine est un fait historique , collectif ...et, donc, personne n'a le droit de le voir figé ou tel qu'il fut ou encore tel qu'on croit , à tort , ètre..ou, pis encore, conçu comme un tabout..Fadhel , mon camarade de promotion, continue tes aventures de recherche créative et que ceux qui te dérange sachent que tte création ne peut ètre qu'aventureuse ..je t'encourage... (salem ounaies)
Rendez moi mon Bendir, c'est ainsi, que je titre mon intervention, qui reflète, d'ailleurs, à en croire ce que j'ai vu et entendu, l'avis de la masse silencieuse, venue en nombre, communier, avec la Hadhra version 2010. Hélas la déception était au RDV. Proposer une nouvelle lecture, innover, interpeller, est certes louable, n'est ce pas la d'ailleurs, le propre de l'artiste créateur. Mais dans le cas d'espèce c'est raté, ou presque. Car faire de la recherche en la matière relève plutôt des studios feutrés d'enregistrement et des officines, que de l'enceinte de Carthage, ou 10.000 spectateurs en mal de transes, ne demandaient qu'à retrouver l'air soufi d'antan...Fadhel Jaziri a certes voulu, introduire le changement, mais il reste un incompris, et pour emporter l'adhésion des masses, la touche magique a manqué à cet artiste, face à un public conservateur...Qui a dit que les traditions ont la peau dure. Fadhel Jaziri aura eu le mérite d'avoir essayé, c'est déjà la moitié du chemin...reste à éviter les embuches, quel artiste fut-il talentueux, n'en a pas connus, notre Fadhel national s'en remettra, non pas que son spectacle manquait d'arguments, loin s’en faut, mais le contexte ne s'y prêtait pas,( c’est comme proposer au public du derby EST-CA un film d’Elia Kazan, ou un roman de Kundera à un éleve de 6e), et le pari était risqué... sacré Fadhel, tu nous surprendras toujours, agréablement bien sur, et c'est à ton honneur.
ce qui est bizarre c'est de s'attendre à un copier-coller 19ans apres le 1er spectacle. pour ca il y a des videos et des cd disponibles pour 1d. jaziri a été inventif il a su innover à une époque où la majorité des artistes tunisiens sèchent. ce qui est par contre décevant c'est le public immature et irrespectueux de cette soirée venu non pas pour assister au spectacle mais plutôt pour faire le spectacle. P.S : et l'homme enchainé ce n'était pas boussaadia mais sidi amor fayech de bab jedid... il faudarit peut etre se renseigner un peu sur l'histoire des marabouts tunisiens avant de se précipiter sur les critiques!
Autant pour moi Emna mais avouez que lorsqu'on est pour l'évolution de la tradition et pour le mélange des genres, il ne faut pas tant s'émouvoir de la confusion entre des personnages mythiques que Fadhel Jaziri lui-même prend plaisir à fusionner et à mettre en perspective... pour notre plaisir à tous!
Bravo et même mille bravo Anissa BEN HASSINE pour la description à la perfection du déroulement du spectacle " El Hadhra 2010". Merci d'avoir relaté objectivement ce qui s'est passé ssur la scène et sur les gradins.