Quand Israël exalte ses hommes de main
Gideon Levy - [A l’heure où Mme Fatou Bensouda, procureure auprès de la Cour Pénale Internationale (CPI) déclare, le 20 décembre 2019, à propos des crimes israéliens contre l’humanité en Cisjordanie et à Gaza : « Je suis convaincue qu’il existe une base raisonnable justifiant l’ouverture d’une enquête dans la situation en Palestine en application de l’article 53 1 du Statut. En résumé, je suis convaincue : i) que des crimes de guerre ont été commis ou sont en train de l’être en Cisjordanie, notamment à Jérusalem-Est, et dans la bande de Gaza (« Gaza ») (pour plus de détails, voir par. 94-96 de la requête) ; ii) que les affaires susceptibles de résulter de la situation en cause seraient recevables ; et iii) qu’il n’existe aucune raison sérieuse de penser que l’ouverture d’une enquête desservirait les intérêts de la justice. », cet article de Gideon Levy, journaliste israélien traitant « des faits d’armes » du Mossad et notamment de la lâche exécution d’Abou Jihad, à Tunis, en 1988, devant sa femme et ses enfants, dévoile une des hideuses faces d’Israël et de ses services secrets dont la télévision abreuve continuellement la société israélienne pour la formater pour la violence, le meurtre et le crime de guerre.]
Note du traducteur
****************
Israël se délecte à évoquer ses souvenirs sanglants: comment nous assassinons, comment nous éliminons, comment nous tuons et quels héros nous sommes.
De temps à autre, un soi-disant documentaire - qui n’est rien d’autre que de la propagande en faveur du meurtre - exalte avec admiration l’héroïsme israélien et tombe constamment en pamoison devant nos tueurs à gages. Avec le clin d’œil retors de celui qui est au courant, sans jamais poser de questions ni exprimer le moindre doute, sans le moindre débat sérieux.
Il n’y a pas beaucoup de pays au monde qui envoient des escadrons de la mort pour éliminer leurs ennemis devant femmes et enfants, et encore moins de s’en vanter, de courir le dire aux amis voire même de faire de ces assassins des héros positifs que les médias portent aux nues. Mais Israël assassine et les médias s’extasient… Faire de ces assassins des exemples à suivre est inimaginable. Est-ce peut-être une nécessité inévitable - c’est très douteux - mais un motif d’orgueil ? Un divertissement de masse ? Le meurtre et l’assassinat comme distraction ?
De nos jours les assassins sont des héros alors qu’ils devraient avoir honte de leurs crimes, voire d’exprimer, un jour, des regrets.
La semaine dernière, la télévision publique Kan a présenté un film sur l’élimination planifiée, totale, de toute la direction du Hamas dans la Bande de Gaza - élimination qui, heureusement, n’a pas eu lieu. (C’est ce qu’on a appelé « Opération Cueillette d’anémone » et qui a été décrite comme le rêve de tout agent des renseignements). Actuellement, la télévision Channel 13 diffuse « Reshimat Hisul » (La liste des cibles, une autre série de la même eau qui passe en revue les meurtres commis par Israël et porte aux nues leurs exécutants).
L’épisode de cette semaine traite du « glorieux assassinat » de Khalil al Wazir connu aussi sous le nom d’Abou Jihad et dont l’élimination « héroïque », en Tunisie, en 1988, a fait déjà le sujet du magazine télévisé d’investigation « Uvda ». En Israël, toute série télévisée documentaire qui se respecte doit avoir au moins un assassinat ciblé par saison.
La formule est grotesque. Ces séries sont écrites comme des thrillers populaires avec la musique et les reconstitutions qui vont avec. Mais le message sous-jacent est à vous faire figer le sang : les assassins sont parmi nous, certains sont même des leaders politiques importants. Ils ne sont pas considérés seulement comme des héros mais certains d’entre eux sont vus comme les politiciens les plus éthiques et les plus moraux qui soient. Prenons par exemple Moshe Ya’alon dont le deuxième prénom signifie honnêteté. Parlant du meurtre d’Abou Jihad dans le film, ce « Monsieur Moralité » a sorti la carte ultime : « le test du miroir ». Si donc M. Ya’alon se regarde dans le miroir après un assassinat, c’est le signe que le meurtre n’en est pas un. Ainsi est né un nouveau test dans la théorie de l’éthique.
Ya’alon le penseur professe aussi une philosophie : « Dans ma philosophie, il n’existe pas de mission impossible » dit un des grands espoirs de Kahol Lavan* éructant encore un cliché. Tout est possible, y compris la stupide élimination à Tunis d’un homme qui aurait pu devenir un partenaire pour la paix.
Un fil conducteur court à travers la trame de toutes ces histoires héroïques : les assassins ont presque toujours plus de sang sur les mains que les victimes - y compris le sang d’innocents - et les assassinés sont toujours remplacés par plus extrémistes et plus dangereux qu’eux. Jamais un assassinat n’est venu à bout de la terreur. Jamais un assassinat n’a amené tout un peuple à capituler. Dans ces émissions chatoyantes, on ne vous dira jamais çà.
« Une balle de .22 et le garde du corps était mort ». Applaudissement. « S’il avait tiré sur la fille [d’Abou Jihad], il serait dans de mauvais draps ». Comme nous sommes moraux ! Et puis voici la vérité toute nue : « Au final, on est content d’avoir tué quelqu’un. »
A un certain moment, ils ont pesé le pour et le contre : faut-il tuer le voisin, Abou Mazen ? « D’une pierre, deux coups, mais tous les Abou n’ont pas le même poids » a soufflé la voix de la raison. Ainsi la vie d’un président palestinien a été épargnée. Si ce leader modéré gênant avait été alors éliminé, on aurait encore mis au crédit des renseignements d’Israël cet incroyable succès, absolument comme l’assassinat de son voisin sur une plage de Tunis.
Continuez à nous abreuver d’assassinats, de plus d’assassinats. Cela en dit beaucoup sur nous.
Texte paru sur Haaretz le 12 décembre 2019.
Traduit par Mohamed Larbi Bouguerra
*Kahol Lavan est l'alliance Bleu et Blanc, couleurs du drapeau israélien. C’est une coalition électorale « centriste » israélienne, créée en février 2019 par l’ancien chef d'État-Major Benny Ganz avec deux autres anciens chefs d'état-major, Moshe Ya'alon (dont parle Levy ci-dessus) et Gabi Ashkenazi. Ils sont en compétition pour le pouvoir avec Netanyahou. Lors de la dernière campagne électorale pour les législatives, Ganz s’est vanté de « ses faits d’armes » contre la population civile de Gaza contre laquelle il avait déployé les avions F-16 américains et utilisé le phosphore blanc, interdit par les conventions internationales. Un citoyen hollandais d’origine palestinienne, Ismaïl Zaida, a introduit une action en justice contre Ganz pour sa responsabilité dans la mort de six membres de sa famille- dont sa propre mère- à Al Burej à Gaza lors de l’attaque israélienne de 2014 (Le Monde, 18 septembre 2019).
- Ecrire un commentaire
- Commenter