News - 19.03.2021

En marge du 65 eme anniversaire de l’indépendance nationale (1956-2021): Radioscopie d’une décennie perdue et Plateforme d’action

En marge  du 65eme anniversaire de l’indépendance nationale (1956-2021): Radioscopie d’une décennie perdue et Plateforme d’action Le retour triomphal de Bourguiba le Ier juin 1955 consacrant l’indépendance première de la Tunisie

Par Mohieddine Hadhri. Expert consultant international - La Tunisie célèbre le 20 Mars 2021 le 65e anniversaire de l’indépendance nationale  qui représente l’un des événements majeurs de l’histoire du XX e siècle de notre pays. Cette indépendance qui mit  fin à 75 ans de colonisation française était le  couronnement d’une longue marche de plusieurs décennies de militantisme et de sacrifice de milliers de Tunisiens pour arracher l’indépendance de leur pays, mettre en place les piliers de l’Etat républicain et construire une société moderne. Nul doute que cette date constituait et constitue encore un moment fondateur, un tournant majeur de notre histoire nationale, mieux  une référence au passé qui nous interpelle, un rappel de la dette à l'égard des morts, une exhortation au souvenir et à la fidélité.

Des lors,  l’anniversaire de l’Indépendance constitue une occasion pour nous de marquer une halte afin d’évoquer le bilan de 65 années de souveraineté nationale, comme elle nous invite, plus que jamais, à méditer le parcours de la dernière décennie qu’a vécue le peuple tunisien depuis les évènements de Janvier  2011.Au moment où la Tunisie est confrontée à une série de crises et d’épreuves parmi les plus graves de sa longue histoire qui menacent son présent et son avenir, l’évocation de la mémoire nationale constitue un facteur de ressourcement précieux pour tous les citoyens de ce pays, pour les élites politiques et surtout  pour les jeunes générations montantes.

Louis Althusser, philosophe français bien connu disait : «L’étude du passé nous permet d’éclaircir le présent pour éclairer le futur  ».Aimé Césaire, grande figure du combat anticolonial et anti-racial  des années soixante écrivait à son tour qu’«Un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir». Ces deux citations revêtent  toute leur signification et leur portée par les temps qui courent en Tunisie.

La Tunisie post-révolution est mal partie  ou  les rêves évanouis du peuple tunisien

Dans sa fameuse Muqaddima, le grand philosophe et historien tunisien Ibn Khaldoun expose sa théorie cyclique du pouvoir avec la succession de trois générations : celle des fondateurs, celle des bâtisseurs et enfin celle des bradeurs. Cette thèse d’Ibn Khaldoun est-elle en train de se confirmer avec la crise politique profonde qui secoue la Tunisie depuis les évènements du 14 janvier 2011  et l’émergence soudaine sur la scène d’une nouvelle classe politique  au pouvoir qui aura réussi l’incroyable exploit, celui dilapider en dix ans les acquis accumulés d’une grande œuvre de renaissance engagée pendant plus de soixante ans par tout un peuple depuis l’indépendance en 1956 et bien avant.

On serait tenté de se remémorer le fameux ouvrage « L’Afrique noire est mal partie » publié par l’agronome français René Dumont paru au début des années soixante dans lequel il prophétisait les risques d’un mauvais départ pour ne pas dire de faillite de l’Afrique au lendemain des indépendances africaines, à cause de l’incurie et l’incompétence de ses dirigeants.

Dix ans après le déclenchement de ce qu’il est convenu d’appeler » la révolution du Jasmin » du 14 Janvier 2011, l’heure est au désenchantement sinon à l’amertume de l’écrasante majorité du peuple tunisien qui a vu voler en éclats tous ses rêves et ses espérances de voir s’instaurer dans leur pays un nouveau régime politique respectable et capable d’apporter des solutions viables aux problèmes de la société tunisienne.

La Tunisie s’enfonce jour après jour dans une crise structurelle globale et multidimensionnelle qui semble ouvrir la porte toute grande aux scénarios les plus graves et les plus risqués : impasse politique quasi totale, spectres de faillite économique et de banqueroute financière, chômage croissant et paupérisation  de pans entiers de la société tunisienne. Désormais, le pays peut basculer à tout moment dans le chaos des manifestations et des contres manifestations sous l’instigation de partis et d’adversaires politiques  irréconciliables..

Les rêves évanouis  de la jeunesse tunisienne :  « Emplois, liberté et dignité »

Paradoxalement, de nombreux Tunisiens ne cachent plus aujourd’hui leur nostalgie du  bon vieux temps, celui du « Grand Bourguiba », n’en déplaise aux démagogues et jusqu’au-boutistes d’une révolution qui n’en est pas une, une révolution de toutes les façons spoliée et confisquée par des forces obscures de l’Islam politique, au grand dam des forces démocratiques et de la Gauche tunisienne. Ironie de l’histoire, cette dernière est aujourd’hui éclipsée de la scène politique, à cause de sa myopie et de sa haine de l’Etat national, et pour avoir pactisénaïvement et servi de marche pied pourles forces de l’Islam politique que cette même gauche prétendait combattre.

Dans ce contexte tumultueux et amer, le retour dans la conscience collective des Tunisiens de Bourguiba et l’ère du Bourguibisme  avec ce que cela représente en termes de symbolisme politique, de valeurs  morales, patriotiques et républicaines,n’est que justice, une réactionsaine et dans l’ordre des choses,  exprimée par un peuple  et une jeunesse  aigris, bernés,  trompés  et en plein désarroi .

Les Cinq avatars mortels  de l’amère  décennie (2011-2021)

A l’origine de cette révolution avortée et de cette décennie perdue par la Tunisie et le peuple tunisien se trouvent  des erreurs et des avatars mortels que nous examinons dans les pages qui suivent :

1) L’Assemblée nationale constituante: un gâchis politique monumental

Le premier avatar et non des moindres était celui de l’adoption, au lendemain des évènements de 2011,  de l’Assemblée nationale constituante ANC qui a été un gâchis politique monumental. Alors qu’il aurait fallu mettre immédiatement la Tunisie sur les rails et relancer son économie et s’attaquer aux problèmes les plus urgents qui ont engendré la révolte de la jeunesse tunisienne comme le chômage et l’emploi, la Tunisie a perdu trois années (au lieu d’une seule année comme convenu initialement par l’ensemble des protagonistes) dans les palabres politiques et les querelles stériles atour des thématiques identitaires et confessionnelles.

Une fois élaborée ou plutôt concoctée, celle-ci aura été la constitution la plus coûteuse  du monde. Chaque mot de cette nouvelle  constitution tunisienne de 2014 ( 12930 mots) aura coûté  au pauvre peuple tunisien la bagatelle de 250 mille dinars par mot si nous comptabilisons les dépenses de l’ARP pendant le passage de la Troïka (1911-1914), et près de 9 milliards de nos millimes par mot si nous comptabilisons les 100,000 milliards de dettes contractées par la Tunisie depuis le 14 Janvier 2011.

2) La stratégie suicidaire  du multipartisme effréné

La deuxième erreur fatale de la Troïkaa été d’ouvrir la porte à  un multipartisme effréné et incontrôlé. Résultat : En quelques mois, le pays a vu naitre et prospérer dans la gabegie la plus totale et au nom de la démocratie et de la liberté d’expression plus de 280 partis politiques. Comment est-il possible, logique et acceptable qu’un pays de dix millions d’habitants puisse héberger un tel nombre de formations politiques alors que des pays de grande tradition démocratique n’en comptent pas plus d’une dizaine ?  A titre comparatif, la France ne possède que 18 partis , les Etats-Unis 3 ; l’Allemagne 6 ; la Russie 6 , l’Inde 5 , la Chine un seul parti, celui du Parti communiste.

Quant à la dissolution du Rassemblement Constitutionnel Destourien RCD en mars 2011, elle fut sans doute une erreur politique majeure  pour ne pas dire criminelle, celle d’avoir abattu de manière désinvolte et irresponsable un parti centenaire, dépositaire de l’héritage politique et historique de tout un peuple, un parti qui a libéré le pays, instauré le régime républicain et contribuéà l’édification de l’Etat national moderne.

Pour ceux qui ne le savent pas le Parti Destourien fondé par Thaalbi-Bourguiba  en 1920-1934  fait partie de la liste dessept plus grands partis du XX siècle à savoir :  le parti du Wafd en Egypte fondé en 1919 par le leader  Saad Zaghloul ;Le Parti du Congrès National Indien, le parti de Gandhi ; le Congrès National Sud-africain, celui dirigé plus tard par Nelson Mandela ; le parti communiste russe, lancé par Lénine en 1902 ; le Parti Communiste français fondé en 1920 au Congrès de Tours ;le Parti communiste chinois créé lui aussi en 1920 par Mao Tsé Toung ; enfin le parti communiste vietnamien fondé par Ho Chi Minh en 1930.
A notre connaissance, aucun de ces partis glorieux qui ont contribué à changer le cours de l’histoire du XXe siècle n’a été dissolu. Contrairement  à ce qui s’est passé en Tunisie en 2011,tous ces partis continuent encore à faire partie de la scène politique de leurs pays respectifs, qu’ils soient au pouvoir ou bien dans l’opposition.

3) Le syndrome de l’endettement  infernal de la Tunisie

Le gouvernement de la Troïka assume l’entière responsabilité politique d’avoir engagé la Tunisie dans le cycle infernal de l’endettement excessif vis-à-vis de l’extérieur et du FMI notamment. Alors que la Tunisie de Ben Ali a réussi l’exploit de rembourser l’ensemble de ses dettes avec le FMI en 1992, cinq ans après son arrivée au pouvoir en 1987, voilà que la pauvre Tunisie a vu le volume de sa dette extérieure se multiplier par cinq en dix ans. En effet, le volume de cette dette tunisienne était de l’ordre de 23 milliards de dinars en 2010 ( soit 38% du PIB ) - l’un des taux d’endettement les plus faibles du continent africain- elle a atteint aujourd’hui le chiffre astronomique de plus de 100 milliards de dinars, soit près de  plus de 90% du PIB. Ce taux dépasserait100% si on devait comptabiliser le volume des dettes internes des entreprises nationales déficitaires évaluées à  plus de 20 milliards de dinars.

Bref, ce taux d’endettement excessif  fait de notre pays Hélas !« une nouvelle Grèce du Sud » selon certains milieux financiers internationaux qui sont de plus en plus sceptiques quant à la capacité de la Tunisie à rembourser ses dettes. Faute d’un programme de sauvetage  financier, cela signifierait que, pour la première fois depuis l’indépendance, la Tunisie sera obligée Hélas ! de s’en remettre au scénario des rééchelonnent de ses dettes accumulées depuis 2011.Un tel scénario porterait un coup fatalà la réputation légendaire de notre pays dans les marchés financiers internationaux,celle d’un pays du Tiers monde qui n’a jamais manqué à honorer ses engagements ni pris de retard dans le remboursement de ses dettes depuis l’indépendance en 1956.

4) Les dérives  de la Troïka ou le crépuscule de «l’âge d’or» de  la diplomatie  tunisienne

Dans le domaine diplomatique, la Troïka, dès son arrivée au pouvoir , va révéler au grand jour toute l’ampleur de son incompétence, son amateurisme et son irresponsabilité  en matière de politique étrangère. Rompant avec les traditions et l’héritage de la diplomatie tunisienne basés sur la modération, la non-ingérence, le respect de la légalité internationale et le non alignement dans les affaires internationales, les nouveaux néophytes en matière de politique étrangère ont adopté  dès les premiers jours une diplomatie hasardeuse et désinvolte, ignorant les conséquences de leurs actes et de leurs partis-pris.

Le Président Habib Bourguiba et le Secrétaire général Dag Hammarskjöld  inaugurant le 12 mai 1961 la mosaïque antique offerte par la Tunisie à l’Organisation des Nations Unies. New York: une mosaïque ancienne de 1700 ans qui représente le cycle de l’année (découverte à Haïdra, Tunisie). Elle est maintenant présentée en murale à l’entrée du Salon Nord des délégués au siège de l’ONU.

En un mot, alors que  notre diplomatie jadis respectée, bien introduite dans le Club des Grands du monde, dynamique et stable, elle est aujourd’hui quasi-absente, illisible, voire parfois contradictoire, parasitée par les voix multiples qui croient parler au nom du pays sans titre ni délégation.

La Tunisie dans la tourmente: De l’impasse politique à la faillite économique

Jamais la Tunisie ne s’est retrouvée face à une situation aussi grave, aussi dangereuse  depuis la fin du XIX siècle, du temps  du régime beylical gangrené par la corruption, les scandales et les détournements financiers. Nous connaissons la suite de cette situation tragique pour le pays à savoir l’instauration en 1869 de la Commission financière internationale de triste mémoire qui avait mis sous contrôle l’économie tunisienne,  préparant ainsi  le terrain au régime du Protectorat français en 1881et la fin de la souveraineté tunisienne pour plus de 75 ans.L’histoire risque-t-elle de se répéter. ?

Pendant dix ans, à aucun moment les dix gouvernements successifs  n’ont été en capacité de présenter la moindre politique publique qui soit créatrice d’un choc positif pour le pays et pour nos concitoyens. Toutes les politiques initiées et mises en œuvre dans l’improvisation la plus totale  mises en œuvre ont échoué.
Au bilan catastrophique d’une gestion erratique de l’économie tunisienne héritée de la Troïka et des gouvernements successifs depuis 2011 viennent s’ajouter les effets non moins désastreux de l’épidémie du Covid 19 .Celle-ci a mis à nu toutes les carences du pays et révélé des failles qui peuvent devenir fatales. Cette épidémie est en train Hélas ! de porter un coup fatal à tous les équilibres financiers, sociaux de la Tunisie alors que la conjoncture régionale et internationale est la pire jamais enregistrée dans le monde par le passé. Ce qui complique toute tentative de sauvegarde et de relance de l’économie tunisienne. En un mot, tous les indicateurs des fondamentaux de l’économie tunisienne sont au rouge comme le montre le tableau suivant :

Tableau  des indicateurs de l'économie tunisienne post-Révolution 2010-2020

Indicateurs économiques

2010

2020

Taux de croissance annuelle

5%  (1992-2010.)

- 8 % (2020)

Nombre  de chômeurs

300.000 soit 14%

746.000 soit  un taux de chômage  de + 18%

Taux d’endettement par  rapport au PIB

38 %

90%

Indice Global de la Compétitivité économique (Classement par pays de Davos 2019)*

32

87 (2019)

Volume de  la dette extérieure , (un des plus faibles du continent africain en 2011)

23 Milliards de DT

100 Milliards de DT soit une multiplication par 5

Indice corruption en Tunisie selon Transparency International.

45

                  73

Taux d’Epargne national

23%

6%

Déficit budgétaire

0,650 Milliards DT soit 1% du PIB

+ 8 Milliards DT soit  11,5% du PIB

Source: Statistiques de la  Banque centrale, Périodique de Conjoncture  N°129 – Octobre 2020,  Rapport de Davos 2010 ; 2019

Au sujet de la compétitivité de l’économie tunisienne  en 2010, il convient de rappeler à cet égard les termes d’évaluation du Rapport sur la compétitivité mondiale 2010-2011, publié, Jeudi 9 septembre 2010 par le Forum Économique Mondial de Davos, lequel rapport soulignait ce qui suit  :

Classement de Davos 2010-2011 : la Tunisie toujours première au Maghreb et dans toute l’Afrique

«Plus important, en comparaison avec le rapport précédent, la Tunisie est parvenue à accomplir un bond appréciable en gagnant 8 places dans le classement établi par le Forum Économique Mondial. Tout en consolidant sa position de leader en Afrique et dans le Maghreb, la Tunisie occupe la 32e position mondiale en termes de compétitivité sur les 139 pays concernés par ce rapport, réalisant la meilleure performance par rapport aux quarante premiers pays et devançant de nombreux pays membres de l’Union Européenne (Espagne 42e, le Portugal 46e, l’Italie 48e, la Pologne, la Tchéquie, Malte, Chypre…), d’Asie et d’Amérique Latine. En Afrique, le premier pays classé après la Tunisie occupe la 54e position (Afrique du Sud) et dans le monde arabe, la Tunisie vient en quatrième place après le Qatar, l’Arabie Saoudite, et les Emirats Arabes Unis.»(1)

Ces chiffres éloquents de Davos se passent de tout commentaire.

Voilà où nous en sommes aujourd’hui avec le bilan globalement négatif de la Troïka et des dix gouvernements qui ont présidé aux destinées de ce pays depuis 2011.A ceux qui s’évertuent encore, contre vents et marées, à vanter les acquis  de cette décennie  en évoquantla fin de la dictature et  la libertéde presse et d’opinion, nous leurs rappelleronsle proverbe français qui dit qu’«une seule  hirondelle ne fait pas le Printemps ! ». La vérité est que la Tunisie est aujourd’hui beaucoup plus proche du « suicide démocratique » que de la « transition démocratique »,chantée et vantée sur tous les toits depuis dix ans.

La  Tunisie à  la croisée des chemins: Pour l’adoption d’une Plateforme d’action pour un Référendum d’Initiative populaire

Désormais, l’impasse politique est totale entre deux camps politiques, deux projets de sociétés peu compatibles aboutissant à une polarisation des forces et des enjeux.  D’un côté, il y a le camp islamiste avec le parti « Al Nahdha » appuyé par l’Internationale des Frères musulmans.. De l’autre, se situe le camp des forces patriotiques et démocratiques tunisiennes et à leur tête le Parti Destourien libre PDL qui est crédité par les sondages de 43% de votants aujourd’hui et qui pourrait atteindre des scores plus performants  en cas d’élections législatives anticipées, auxquels s’ajoutent l’UGTT et l’UTICA, les forces démocratiques, les intellectuels et les universitaires, ainsi que les organisations de la société civile.

Face à l’ impasse politique dans laquelle la Tunisie semble se fourvoyer, que faire ? pour reprendre l’expression de Lénine  en 1902. La Tunisie possède-t-elle encore des chances de s’en sortir  et de s’engager dans un sursaut national salutaire  lui  permettant de tourner la page de dix ans de gabegie politique en vue de se positionner de nouveau dans l’orbite du XXI siècle ?

Quelles sont les composantes d’une alternative politique susceptible d’offrir  une sortie plausibleà ce pays qui ne mérite pas de tomber si bas, au nom d’une transition démocratique qui n’en finit pas de finir,laquelle transition est semblable à bien des égards à  un miroir aux alouettes,une sorte de  mirage insaisissable dans le désert : plus on s’en approche, plus il s’éloigne de l’horizon.

Principes et modalités d’ un Référendum d’initiative populaire

Désormais, face à tout le spectacle  de  déconfiture des partis  politiques, de  paralysie des institutions républicaines, face à l’incurie d’un parlement livré aux abois,  la preuve est faite de l’insignifiance de toute tentative de réforme ou de replâtrage du régime issu des décombres d’une révolution avortée en 2011.

Pour toutes ces raisons, la Tunisie est appelée àengager un grand projet de « renouveau démocratique » plus que jamais nécessaire, aujourd’hui, pour sauver l’Etat et la société . A cet effet, et dans une telle hypothèse, les premiers pas à adopter seraient les suivants :

• La mise en place d’une Commission Nationale pour la Réforme constitutionnelle
Celle-ci sera l’œuvre d’une commission d’une vingtaine de membres composée d’éminents constitutionnalistes ( exceptés ceux qui ont conçu et mis au point  la piètre constitution de 2014 et le code électoral médiocre actuel ) et renforcée par quelques personnalités d’envergure nationale non affiliées aux partis. Cette commission sera chargée de  rédiger en trois mois seulement un nouveau projet d’amendement de la constitutionde 2014 à soumettre au référendum populaire. Cette nouvelle réforme constitutionnelle devrait ouvrir la voie à un régime présidentiel et législatif  modelé s’inspirant du modèle américain avec deux mandats de 4 ans seulement, non renouvelables.

Elle veillera par la même occasion à la mise en œuvre d’un nouveau code électoral uninominal à deux tours..Ce nouveau code électoral serait basé sur  un scrutin uninominal à deux tours tel qu’il est pratiqué dans la majeure partie du monde comme la France, la Russie, le Royaume uni, l’Argentine, l’Inde etc…

L’organisation d’un Référendum populaire pour soumettre ces deux projets de réforme au verdict du peuple afin de leur conférer une légitimité populaire et souveraine.
En l’absence d’une Cour constitutionnelle, sciemment entravée pendant cinq ans,  doublée du silencede  la constitution de 2014 sur les modalités de recours en cas de crise grave du régime politique, le référendum populaire devient la seule voie de recours envisageable. Dans de nombreux pays dans le monde, il existe plusieurs modalités de référendum en tant que dispositifs de démocratie directe qui permettent à l’Etat de saisir la population par référendum sans que soit nécessaire l'accord du Parlement.

Plusieurs de ces types de référendums sont en vigueur au niveau national dans une quarantaine de pays et utilisés en particulier en Suisse, en Italie, en Slovénie et dans les pays scandinaves, ainsi qu'au niveau infranational dans certains pays comme les États-Unis ou l'Allemagne ( Bavière).Rappelons à cet égard aussi  le précèdent turc lorsque le président Erdogan a convoqué des élections anticipées en 2015 et ordonné de les refaire au bout de trois mois, sans parler du référendum qu’il a ordonné en 2018 pour passer du régime parlementaire hérité d’Atatürk au régime présidentiel plus à sa convenance. Mieux, tout près de nous, l’Algérie voisine a procédé tour à tour a un référendum populaire pour amender la constitution et pour décider de nouvelles électionsanticipées en Juin prochain.

Bref, c’est en s’inspirant de ces mécanismes référendaires que la Tunisie pourrait envisager un tel Référendum d’initiative populaire (RIP)en interpellant le peuple tunisien sur  trois questions essentielles à savoir :

Etes-vous d’accord avec le nouveau projet de constitution :  Oui ou Non ?

Etes-vous d’accord avec le nouveau projet de  code électoral : Oui ou Non ?

Etes-vous d’accord pour la tenue d’élections législatives anticipées :Oui ou Non  ?

Ce référendum qui pourrait s’organiser dans des délais raisonnables ( 3-4 mois) et avec des moyens financiers peu couteux est la seule voie de salut réaliste à envisager.

Grosso modo, les objectifs de ce  mécanisme référendaire et de cette consultation populaire seraient

• La remise en cause du  régime parlementaire anachronique et défaillant, lequel est responsable de la paralysie des institutions républicaines en adoptant un amendement de la  constitution, fondée sur la primauté relative et non pas totale du pouvoir exécutifdésignant un gouvernement, cependant que le parlement vote les lois et contrôle l'exécutif, sans sortir de son rôle alors que des instances indépendantes, Conseil économique et social, Conseil constitutionnel, autorité judiciaire, garantissent la compétence, la dignité et l'impartialité de l'Etat.

• L’organisation de nouvelles élections libres aboutissant àun remodelage réel, une restructuration profonde du paysage politique tunisien aujourd’hui complètement éclaté, et cela  sur la base d’un nouveau code électoral capable de dégager des majorités politiques viables et crédibles disposant de programmes politiques de reformes et de stratégies économiques appropriées et ambitieuses.

• L’adoption d’un Plan national  d’urgence et de sauvetage économique qui serait élaboré par les personnalités les plus compétentes du pays. Ce plan national  serait chargé de mettre au point les principes et les modalités  du redressement économique et financier du pays.

• L’adoption d’un nouveau « Pacte de paix sociale » pour une durée de  trois ans renouvelable auquel il faut parvenir coûte que coûte avec les organisations nationales à savoir  l’UGTT  et  l’ UTICA. Ce pacte à lui seul, une fois signé, pourrait drainer des investissements substantiels  au pays et servir de point de départ à la relance de la machine économique et industrielle et à la remise de tout le pays au travail après une décennie de chaos économique, de laissez-faire et d’effondrement de l’autorité de l’Etat et de la loi.

La Tunisie en  perspective: Une Somalie  ou bien une «Nouvelle Malaisie»  au cœur de  la  Méditerranée du XXI Siècle?

Dès lors, la question que tous les observateurs se posent ici et ailleurs : La Tunisie, seule survivante de l’ouragan du Printemps arabe, sera-t-elle en mesure de maintenir le cap contre vents et marées pour atteindre les rivages de la stabilité et du décollage économique ?. Ou bien sombrera-t-elle,à l’instar des autres pays de la région arabe, dans le chaos et la faillite économique comme le laissent transparaitre les indicateurs précédemment  avancés ? Autrement dit, la Tunisie à l’horizon 2030, sera-telle une Somalie  ou bien une nouvelle Malaisie au cœur de la Méditerranée du XXI Siècle ? Voilà la question.

Comme le dit le  proverbe français « il ne faut jamais insulter l’avenir. ». Gageons donc sur le scenario de l’optimisme et du volontarisme politique. Même s’il peut paraitre idéaliste de rêver d’une Tunisie qui serait comparable à une nouvelle Malaisie en Méditerranée alors que le pays fait face à la plus grande crise de son histoire depuis l’indépendance en 1956,il n’en est rien. La Tunisie, malgré le diagnostic sévère du bilan des dix dernières années, malgré l’incertitude et l’instabilité qui la secouent,  possède tous les atouts objectifs, les potentiels humains, économiques et culturels nécessaires pour s’engager dans la voie des pays ayant réalisé des miracles économiques,à l’instar de la Malaisie ou bien  du Rwanda etc..

Pour avoir visité personnellement en ma qualité d’expert consultant international plus d’une fois ces pays asiatiques, et pour avoir développé dès les années 2000 des études et des expertises sur les thématiques de la mondialisation, de l’intégration régionale et de la coopération Sud-Sud, je dois dire que ces expériences de développent asiatiques méritent de retenir notre attention, de servir de modèle alternatif  pour notre pays  afin de  sortir de la crise complexe et multiforme dans laquelle elle patauge  depuis dix ans(2).

En ces temps difficiles caractérisés par le doute et l’incertitude, s’il existe un pays qui devrait retenir l’attention des décideurs politiques tunisiens c’est bien la Malaisie, un pays asiatique musulman de 35 millions d’habitants qui a réussi en l’espace de 40 ans  un véritable miracle économique. Voilà un pays pauvre dont l’économie en 1982 se limitait à l’exportation de quelques matières premières telles que le caoutchouc et le bois, vivant par ailleurs sur les aides financières du Koweït et de la Libye de Kadhafi, et qui allait pourtant se hisser en quelques années seulement en un véritable dragon asiatique dont l’un des performances était celui  de ramener le taux de pauvreté de 52% en 1982 à 2% en 2018.

Mohieddine Hadhri intervenant comme expert invité à une conférence internationale à  George Townen Malaisie en octobre 2018

Plus proche de nous en Afrique même, l’exemple du Rwanda est à retenir aussi par la classe politique tunisienne. Voilà un pays qui a traversé les épreuves tragiques de la guerre civile et du génocide en 1994 et qui, malgré cela, a réalisé des performances économiques au cours des vingt dernières années qui font de lui, aujourd’hui, un modèle de référence à l’échelle africaine et même mondial. Dans un article en date du 17 octobre 2017, intitule «Kigali, la capitale du Rwanda «où l’on vit aussi bien qu’à New York»  le journal français le Figaro n’a pas hésité à qualifier ce pays d’être  « Le Singapour de l’Afrique. »  . Une leçon de plus  à méditer par la classe politique tunisienne embourbée depuis dix ans dans les palabres, les invectives infantiles et les conflits dogmatiques stériles. !

A l’heure où les pays du monde entier se préparent pour la phase de l’après Covid 19  qui sera marquée par une relance économique et par un redéploiement des mouvements d’investissements internationaux à partir de l’Asie,  la Tunisie se doit de se redresser, de se réinventer pour être prête au rendez-vous et pour mieux se positionner dans la nouvelle trajectoire économique planétaire qui s’annonce..

Mohieddine Hadhri
Professeur de Relations internationales, Expert consultant international

1) Classement de Davos 2010-2011 : la Tunisie toujours première au Maghreb et dans toute l’Afrique
https://www.africapresse.paris/Classement-de-Davos-2010-2011-la?lang=fr

2) Mohieddine Hadhri, L’Union du Maghreb Arabe  et l’Espace économique européen , Edition Cetima ,Tunis, 1993, 250 p
Hadhri Mohieddine , La Grande Zone Arabe de Libre échange et les Perspectives d'intégration Sud-Sud en Méditerranée ... http://www.femise.org/PDF/hadhri_m_0107.pdf
Hadhri Mohieddine,  Globalisation Challenges and New Arab Regionalism : Towards a New Deal of South–South Integration  In: International Handbook on the Economics of Integration, Volume I,chapter21, Edward Elgar Publishing. , London, 2012
https://www.e-elgar.com/shop/gbp/international-handbook-on-the-economics-of-integration-volume-i-9781848443709.html

 

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