Tunisie: Pour faire face au changement climatique et au stress hydrique
Par Ridha Bergaoui - La Tunisie est un pays pauvre en eau et se place, avec une disponibilité de près de 400 m3/habitant/an, au-dessous du seuil hydrique minimal. Elle est pleinement exposée au changement climatique et au stress hydrique. Les spécialistes prévoient une pluviométrie de plus en plus rare accompagnée d’épisodes de sécheresse et des inondations.
Avec l’augmentation de la population, les besoins en eau, aussi bien pour la production des aliments et des fourrages que pour l’eau potable ainsi que les autres usages (industrie, tourisme…), ne cessent d’augmenter. Les difficultés d’y faire face se font déjà sentir surtout en période de forte demande, en été et durant les années sèches.
Depuis l’indépendance, la Tunisie s’est lancée dans une politique de construction de grands barrages pour accueillir les eaux de ruissellement et constituer des réservoirs d’eau pouvant être utilisée pour l’irrigation, l’eau potable, la production hydroélectrique, la pisciculture , les loisirs…
La Tunisie est arrivée à mobiliser presque tout son potentiel hydrique conventionnel. Néanmoins, la tendance à la construction de ces ouvrages, parfois très imposants, prestigieux et source de gloire nationale, est de plus en plus mise en cause.
Critiques envers les grands barrages
La création de grands barrages a des conséquences environnementales et sociales très graves. On peut en citer quelques-unes:
• Inondation de terres et pertes de grandes superficies des surfaces agricoles et forestières
• Disparition de la faune, flore et biodiversité vivant avant création du barrage
• Production importante de méthane (gaz à effet de serre) suite à la fermentation des végétaux inondés
• Destruction et dégradation des paysages et parfois de sites archéologiques importants
• Perte importante d’eau par évaporation du plan d’eau
• Expropriation et déplacement de populations.
Par ailleurs, les barrages sont des ouvrages très onéreux et l’accumulation de sédiments et l’envasement réduisent considérablement leur durée de vie. En Tunisie de nombreux barrages connaissent déjà un niveau d’envasement très important qui réduit sensiblement leur capacité de stockage. Les barrages représentent également un risque de rupture et de lâchers accompagnés d’inondations en cas de crues et de remplissage du barrage.
Des alternatives existent
De nombreuses possibilités existent pour une meilleure gestion des précipitations et des eaux de ruissellement.
Les petits barrages et lacs collinaires sont des ouvrages simples constitués généralement d’une digue, en terre sablo-limoneuse imperméable, qui retient l’eau des bassins versants. La Tunisie dispose de plus de 1000 barrages et lacs collinaires. Ces ouvrages peu couteux permettent une protection des infrastructures (routes, périmètres aménagés, habitations…), la recharge de la nappe phréatique, la création de petits périmètres irrigués et la fourniture de l’eau potable pour la population et le cheptel.
La désalinisation, des eaux saumâtres et de l’eau de mer, est une solution envisageable, quoique très énergivore et très couteuse. L’utilisation de l’énergie solaire peut permettre de réduire les frais énergétiques et rendre la désalinisation moins onéreuse et plus accessible.
Le recyclage des eaux usées et traitées (EUT) permet de récupérer des quantités non négligeables d’eau. Les technologies existent et certains pays sont arrivés même à recycles les eaux usée en eau potable qui alimentent des agglomérations entières. Les EUT peuvent être utilisées pour l’irrigation de certaines cultures. Elles peuvent être également utilisées pour recharger les nappes phréatiques.
La végétation joue un rôle important dans la rétention de l’eau de pluie et la réduction du ruissellement, l’érosion des sols et la sédimentation des retenues d’eau. L’infiltration de cette eau permet d’alimenter les nappes et l’exploitation de puits et forages pour l’irrigation, l’eau potable ou autres usages. Par ailleurs, le reboisement et la création de forêts artificielles présentent de nombreux avantages tant au niveau de l’exploitation des produits de la forêt (ligneux et non ligneux), l’élevage, l’agroforesterie et la création d’emplois divers.
A côté du reboisement, de nombreuses techniques permettent de réduire le ruissellement et limiter l’érosion. La Tunisie possède une très longue tradition en matière de conservation des eaux et du sol (CES).
Les aménagements hydrauliques et de CES
L’aménagement des courbes de niveau antiérosives permet de freiner le ruissellement. La construction de banquettes et de terrasses permet également de maintenir les sols en pente, les cultiver et les planter. Dans les premières années de l’indépendance de nombreux chantiers (appelés Chantiers de lutte contre le sous-développement) ont été organisés pour le traitement des pentes et la confection des courbes de niveau et de terrasses et le reboisement. Ces chantiers ont permis également de créer des milliers d’emplois.
Dans le Sud Est Tunisien, la construction de « jessours » au niveau des cours d’eau et des parcelles, remonte à très loin. Il s’agit de nombreux petits barrages, ou élévations de terre, où chaque « jessr » retient une partie des eaux de ruissellement. Au Sahel, les « meskats », sont des parcelles laissées incultes et qui permettent d’alimenter une parcelle de l’oliveraie en eau de ruissellement et représentent un apport d’eau important pour les oliviers.
L’absence d’entretien de ces aménagements, a entrainé malheureusement une dégradation de ce patrimoine très important.
La confection de citernes et de « mejels », pour la récupération et le stockage de l’eau de pluie, était une pratique essentielle en ville et dans la campagne pour disposer d’une eau de qualité pour ses divers besoins. De nos jours, il est possible de concevoir des réservoirs d’eau, de différentes capacités et peu couteux, grâce à l’utilisation de tissus étanches avec géomenbrane et géotextile bâche en PVC et de recueillir de l’eau pour l’irrigation au niveau des exploitations.
La création d’aménagements spécifiques destinés à la recharge des nappes phréatiques en période de crue permet d’éviter de jeter ces eaux en mer. Ces aménagements aident aussi à la protection des villes des inondations.
Il est indispensable également de veiller à ne pas polluer les nappes soit par des résidus industriels, les pesticides et autres produits chimiques.
Du bon usage des ressources de l’eau
Le changement climatique et la rareté des disponibilités hydriques représentent une réelle menace. Il est indispensable de veiller à un bon usage de l’eau devenue de plus en plus précieuse aussi bien en agriculture (qui consomme plus de 80% de nos ressources hydriques) que l’eau potable.
Le développement rapide des périmètres irrigués, qui a atteint de nos jours plus de 450 000 ha, a entrainé une forte demande d’eau qui s’est traduite par une surexploitation des nappes et la détérioration de la qualité de l’eau.
Il est recommandé de:
1/ pour l’agriculture
• Réduire et éviter les pertes et fuites au niveau des infrastructures et des canalisations
• Veiller à une meilleure gestion de ces terres et à interdire énergiquement les forages anarchiques.
• La lutte contre le gaspillage d’eau et la généralisation de l’utilisation de la méthode d’irrigation goutte à goutte, permet de faire des économies importantes d’eau
• Un bon usage de l’eau passe également par le choix judicieux des espèces à cultiver afin d’éviter les cultures trop exigentes en eau. Il serait important de tenir compte et d’encourager les cultures à faible empreinte d’eau et résistantes à la sécheresse afin d’améliorer l’efficacité de l’utilisation de l’eau.
2/ pour l’eau potable
• De réduire et d’éviter les pertes et fuites au niveau des infrastructures et des canalisations
• La sensibilisation de l’usager quant à l’importance de l’eau afin de l’amener à limiter et éviter le gaspillage d’eau
• Au niveau du citoyen, s’équiper en robinetteries économe d’eau, éviter les robinets et chasses d’eau qui fuient, préférer les douches à la place du bain, encourager la construction de « mejels » et pourquoi pas développer l’utilisation des toilettes écologiques sèches qui permettent d’économiser l’eau et de récupérer du compost.
Conclusion
L’agriculture est un pilier principal du développement de la Tunisie. Elle joue un rôle primordial dans notre sécurité alimentaire surtout que notre balance alimentaire est déficitaire et nous dépendons pour notre alimentation de l’importation de nombreux produits stratégiques comme le blé et les huiles végétales.
L’eau est un élément de survie capital soit pour l’agriculture soit à usage potable et ménager. Le changement climatique et la sécheresse représentent des menaces de plus en plus présentes. Pour y faire face, il est indispensable de mobiliser toutes nos ressources hydriques y compris les ressources non conventionnelles. Les grands barrages sont de nos jours de plus en plus critiqués pour leurs effets dévastateurs sur l’environnement. Les petits ouvrages, plus légers et moins couteux, semblent, dans de nombreux cas, préférables.
Le couvert végétal et le reboisement permettent de ralentir le ruissellement, améliorer la pénétration de l’eau et éviter l’érosion des sols et l’accumulation des sédiments au niveau des barrages et autres retenues d’eau.
Les travaux de CES comme les courbes de niveau, les banquettes et terrasses, les « jessours » et « meskats » sont très utiles et complètent les effets bénéfiques du reboisement. Ces aménagements doivent être entretenus d’une façon régulière afin d’être toujours en bon état.
La Tunisie est confrontée à de nombreux défis climatiques et socio-économiques. De grands efforts restent à faire pour réduire notre dépendance alimentaire et développer notre agriculture. Celle-ci se trouve de plus en plus exposée à de fortes pressions, surtout en raison de la sécheresse et du changement climatique. La pandémie du covid-19 et la guerre en Ukraine ont eu des incidences immédiates sur les disponibilités mondiales et les prix de l’énergie et des aliments.
Dans un contexte de crise politique et économique mondiale, qui risque de se traduire par une crise alimentaire grave, le meilleur usage de nos ressources naturelles, surtout l’eau et le sol, devient plus qu’urgente et nécessaire.
Ridha Bergaoui
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