Khaled Kaddour: Transformation stratégique de l’énergie, une vision renouvelée pour la Tunisie
Le contexte mondial est marqué par une succession de crises (sanitaire, alimentaire, énergétique, sécuritaire et écologique) et des incertitudes économiques et géopolitiques qui demeurent fortes et qui sont intimement liées à la situation énergétique. Les dommages et les conséquences sur le monde dans son ensemble se poursuivent, particulièrement en ce qui concerne les prix de l’énergie. Ceux du gaz atteignent des sommets, ce qui a impacté le coût de l’électricité.
Pour faire face à cette crise énergétique, il est nécessaire de clarifier les choix en prenant en considération la nouvelle donne mondiale, l’ordre des priorités est clair : assurer la sécurité énergétique; ensuite décarboner. Le secteur énergétique a besoin de la confiance et de la constance du politique et ne peut être traité séparément car l’énergie est nécessaire à toute activité humaine par son impact économique, social, sanitaire et environnemental.
Une crise profonde et globale Vs vision globale
La Tunisie vit aujourd’hui la période la plus difficile et la plus délicate de son histoire contemporaine. Elle traverse une crise multidimensionnelle et sans précédent aggravée par la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine.
Dans cette situation, nous ne pouvons plus suivre les anciennes règles. Il faudra chercher des solutions innovantes par l’élaboration d’une vision globale en se basant sur la prospective stratégique, qui est une approche d’anticipation, de bonne gouvernance et d’aide à la prise de décisions et ce afin d’éviter l’improvisation.
Elle permet aussi d’élaborer un projet collectif mobilisateur et stimulant à plusieurs temporalités pour répondre aux problèmes globaux et stimuler la relance.
La vision globale entend répondre aux demandes urgentes des populations dans une optique qui favorisera l’égalité des chances et l’équité sociale, mais également la mise en œuvre de réformes indispensables pour rétablir la confiance.
Le succès de cette vision repose principalement sur l’importance de l’approche participative, l’intelligence collective, l’appropriation, en plus d’un leadership, d’une équipe compétente qui a l’audace et le courage de la mettre en œuvre et d’en assumer la responsabilité.
Une vision énergétique renouvelée à plusieurs temporalités
La Tunisie est passée par trois phases en matière de balance énergétique. Dans une première phase, la balance énergétique était excédentaire (1956 - 1990). Dans une seconde phase, durant une décennie, la situation était presque à l’équilibre. Enfin, depuis les années 2000, un déficit énergétique structurel s’est installé dans la durée et s’est accentué pendant la dernière décennie.
Le déficit du commerce extérieur du secteur énergétique s’est aggravé pour les 10 premiers mois de 2022. Il a atteint 7922,2 Millions DT contre 3982,7 MDT pour l’année 2021. Le déficit énergétique a plus que doublé et accapare 37.2 % du déficit total.
Le taux d’indépendance énergétique est d’environ 49 % (octobre 2022), et sans comptabilisation de la redevance du passage du gaz algérien, le taux se limiterait à 38 %.
Cette situation s’explique par l’absence de découvertes, le déclin naturel des gisements et par des activités d’exploration limitées durant la dernière décennie. Le nombre de permis de recherche et de forages ont commencé leur déclin en 2010 pour s’accentuer en 2014 avec la promulgation de la nouvelle constitution, notamment son article 13. Le nombre de permis d’exploration est passé de 52 en 2010 à 31 en 2015 et 20 en 2022. La même tendance est constatée pour les forages de développement dont le nombre est passé de 17 en 2010 à 5 en 2015 et 1 seulement en 2022 et aucun puits d’exploration. Les investissements ont été divisés par plus de 5 par rapport à 2010. Ils ne sont que de 70 M$ en 2020 contre 374 en 2010.
La production électrique à partir des énergies renouvelables est très faible, atteignant 1.9% seulement du mix énergétique (oct. 2022). Cette situation est due au manque de visibilité à haut niveau gouvernemental. Plusieurs projets d’énergies renouvelables (500 MW solaires photovoltaïques et 500 MW éoliens) lancés en 2018 dans le cadre des concessions et malgré l’obtention de prix très compétitifs variant de 70 à 80 millimes le Kwh, n’ont pas encore vu le jour et probablement ne le verront jamais, vu l’augmentation des coûts (+30 %) due à ce retard de plus de quatre ans.
La Tunisie en transition a besoin d’une ambition énergétique qui permet une croissance économique durable et socialement équitable, permettant ainsi à tous les Tunisiens d’accéder à une énergie abordable, sûre, compétitive et durable dans le but d’améliorer le niveau et la qualité de vie du citoyen.
Cette vision vise l’équilibre entre les quatre préoccupations futures de la Tunisie, à savoir:
• La sécurité d’approvisionnement énergétique du pays à moyen et à long termes, facteur clé de la sécurité nationale. .
• La compétitivité de l’économie nationale par le rythme de l’intégration des énergies renouvelables, les programmes d’efficacité énergétique et l’optimisation des coûts de l’énergie et le ciblage des incitations.
• L’équité énergétique et la protection des couches sociales vulnérables contre la précarité énergétique et la fluctuation des prix des produits énergétiques.
• La préservation de l’environnement dans un nexus d’énergie, eau et agriculture (avec comme arrière-plan la sécurité alimentaire).
Horizon à plusieurs temporalités
Cette vision doit prendre en considération un horizon à plusieurs temporalités et ce pour pouvoir implémenter les réformes nécessaires dans le cadre d’un développement durable et répondre aux attentes de la plupart des acteurs se rapportant à court terme.
L’horizon à plusieurs temporalités retenu:
• 2023-2025: celui de l’action directe et immédiate. Cette période est caractérisée par le bilan et la mise en œuvre des projets/programmes des énergies renouvelables lancés depuis 2018 et d’efficacité énergétique, la régulation du système et la révision des aspects juridiques pour encourager l’exploration des hydrocarbures.
• 2026-2030: cet horizon est caractérisé par le lancement de la deuxième génération des projets d’énergies propres avec stockage, l’impulsion de l’exploration des hydrocarbures et par les travaux de mise à niveau d’infrastructures électriques, de transport et de stockage et le positionnement géopolitique dans les marchés régionaux.
• 2031-2050: cet horizon est celui d’une génération. Il se caractérise par de possibles ruptures sociales et technologiques et par une possible convergence vers un modèle d’énergie propre et autonome respectant l’environnement.
Ce chemin est possible mais sûrement pas facile du point de vue des rythmes. Il est caractérisé par une nouvelle et forte impulsion politique, une croissance économique supérieure à 8 % sur une longue période et ce dans une perspective de rattrapage et d’accélération de la transition énergétique.
Pour sortir de la crise, la Tunisie a besoin de transformer son système en faisant appel à la science et la reprise du travail car la période actuelle nécessite des choix stratégiques clairs et des concrétisations.
La réussite de cette transformation passe principalement par 3 éléments:
• La clarification des choix et l’élaboration d’une vision prospective stratégique globale qui traduit l’équilibre entre l’économie, le social et l’environnement et ce pour garantir la construction du futur souhaitable. Elle doit être traduite en projets dans les régions et des programmes sectoriels selon des objectifs clairs, chiffrés et précis et des indicateurs de suivi avec un planning de réalisation.
• Une volonté politique claire pour mener une transformation profonde et améliorer l’attractivité et l’image du pays.
• Et enfin un leadership soutenu par une équipe cohérente, compétente et audacieuse pour conduire les réformes nécessaires ainsi qu’une administration stable, renforcée par des compétences et transparente pour instaurer la confiance des citoyens et des investisseurs.
Le mot de la fin est: «Redressons les torts du passé et avançons ensemble pour un futur meilleur»...
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Khaled Kaddour
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