Quand le racisme et la haine deviennent mode de vie
Par Mohamed Larbi Bouguerra - Août 1958. Je suis à New York depuis une semaine seulement pour ce premier voyage hors de Tunisie. J’arrive, par une journée torride, à la gare de Buffalo. Belle gare toute en marbre blanc et où trône, en son centre, la sculpture d’un énorme bison (buffalo en anglais). Des bancs en marbre portent une étrange inscription « White only » (uniquement pour les Blancs). Idem pour les toilettes. Etonné je me dirige vers la sortie. Un seul taxi est là. Le chauffeur est noir. Je lui communique l’adresse des amis irakiens chez lesquels je vais passer le week-end. « Non », me répond le chauffeur. Pourquoi ? Il me répond, assez renfrogné « Lisez la plaque de la municipalité en tête de station. » La plaque dit que cet emplacement est réservé aux taxis ne prenant que des passagers noirs. Je dis au chauffeur : « Cela m’est égal. Je vous prends.» Grand éclat de rire du bonhomme qui me déclare : « Si je suis contrôlé, c’est moi qui paye l’amende, pas vous. »
Bien sûr, aux Etats Unis, aujourd’hui le racisme a changé de tactique et d’apparence mais le fond demeure. Ainsi, M. Lamar Johnson, Afro-américain dans le Missouri, vient de passer 28 ans en prison pour un crime qu’il n’a pas commis et, précise le New York Times du 16 février 2023, il n’a droit à aucune indemnité. En 2017, un Afro-américain sur 15 est en prison, pour les Blancs, cette proportion est d’un pour 106.
Pour Angela Davis, militante et philosophe noire : ‘L’incarcération est la réincarnation de l’esclavage’. On continue à appliquer la méthode de Willie Lynch qui expliquait comment dominer mentalement l’homme noir pour que les esclaves restent des esclaves…… Il faut comprendre que les prisons n’ont jamais été pensées pour ‘corriger le comportement’, mais plutôt pour le contraire, et pour faire de l’argent.” Car les prisons sont des entreprises privées aux Etats Unis.
Le racisme fait gagner beaucoup d’argent
Sous le titre : « Etre noir aux Etats Unis, c’est sentir la mort rôder au-dessus de sa tête tous les jours », l’écrivain afro-américain Joël Leon Daniels révèle que son père, médaillé militaire, a souffert de démence à la fin de sa vie (72 ans). C’est le résultat, affirme-t-il, d’une vie marquée par la ségrégation raciale qu’il a vécue en Floride et des traumatismes dus à son service dans l’armée au Vietnam : « Etre de peau noire, c’est savoir que la mort est aussi proche de soi que son propre souffle. » souligne l’écrivain (The New York Times, 5 décembre 2021).
Souleymane Bachir Diagne note qu’aux Etats Unis, on a interdit aux esclaves venus d’Afrique, d’apprendre à lire et à écrire. Et aujourd’hui, les écoles des quartiers noirs laissent à désirer. Ce qui n’est pas sans rappeler la réaction des colons français du Kairouannais qui s’étaient opposés à la construction d’écoles primaires pour les enfants arabes dans les années 1930 ! En 1943, Ferhat Abbas écrivait au chef de l’Etat français, le Maréchal Pétain, pour lui demander de lutter contre la misère en Algérie et pour créer des écoles pour les enfants algériens.
Le grand écrivain canado-haïtien Dany Laferrière, membre de l’Académie Française, affirme « Le racisme fait gagner beaucoup d’argent. » Il dissèque, à la manière d’un chirurgien, le racisme états-unien qu’il qualifie de « très politique » dans un récent essai politico-littéraire qu’il a longtemps mûri : « Petit traité de racisme en Amérique » (publié à Paris, chez Grasset) ; livre où il dresse de façon exhaustive le lexique du racisme aux Etats Unis avec des formules qui font mouche : « L’Amérique croit qu’elle a progressé en permettant au Noir de passer de l’esclavage à l’usine. » (L’Humanité, 16 février 2023, p. 16-17)
Dany Laferrière poursuit : « J’ai remarqué que l’humiliation est une chose importante dans le racisme. Elle conduit au sentiment d’infériorité, qui vous fait perdre confiance en vous. Vous valez moins cher, c’est le racisme. Si vous ne valez rien du tout, c’est l’esclavage. Le racisme fait gagner beaucoup d’argent à la société. Il suffirait qu’il soit éradiqué pour qu’il y ait faillite de l’économie. » (L’Humanité, 16 février 202 », p. 16 – 17). L’académicien Laferrière n’est pas d’accord avec les Noirs qui veulent être appelés Afro-Américains. Pour lui, « ils ont choisi une mauvaise dénomination » car les Blancs ne retourneront pas en Europe et les Noirs ne retourneront pas en Afrique. « Les citoyens, nés avant ou après l’esclavage, blancs ou noirs, sont des Américains. Les Américains noirs devraient s’appeler Américains et se battre pour ça. » A la question de savoir si le racisme est toujours constitutif de la mentalité nord-américaine, Laferrière relève qu’aucune grande puissance n’a établi l’esclavage sur son territoire. La plupart l’on fait ailleurs, dans les colonies. Sauf les Etats Unis et de souligner, à propos des partis politiques des E.U : « Le Parti républicain, c’est le parti d’Abraham Lincoln qui a fait la guerre aux esclavagistes, c’est aussi le parti de Trump. Il y a des changements possibles dans un sens comme dans l’autre. La réalité américaine est complexe. »
Interrogé sur l’assassinat de Tyre Nichols, un Noir, par quatre policiers noirs à Memphis, fin janvier 2023, Laferrière répond : « Il y a l’idée que le Noir qui conduit une voiture, celle-ci ne devrait pas être à lui, même s’il l’a payée. L’extrême majorité des policiers sont blancs, pour une extrême majorité de Noirs dans les rues en condition d’infraction. Quand vous n’avez pas d’école, qui est majoritairement dans les rues ? Qui est soupçonné de crime ? Des Noirs. Qui est majoritairement policier aux Etats Unis ? Il faut prouver que vous acceptez le système. On vous demande davantage qu’aux autres. Ces policiers sont plus blancs que les Blancs. Ils sont surveillés… Je pense au livre Chien blanc de Romain Gary, un chien dressé pour mordre les Noirs ; une fois kidnappé par les Noirs, ce même chien est dressé pour mordre les Blancs. S’ils sont ainsi [les policiers noirs], c’est tout simplement parce qu’ils sont encore plus sauvages que les Blancs. »
En Israël, la haine et le racisme sont legalises
Le tout nouveau ministre de la Sécurité publique, Itamar Ben-Gvir, déjà condamné pour racisme, exprime sa haine des Palestiniens tous les jours, avec l’accord de Netanyahou qui ne peut rien lui refuser puisque les voix de son parti Force Juive lui évitent la prison pour corruption, abus de confiance et fraude. Cas unique dans les annales : un dirigeant ainsi accusé toujours en poste ! Et même reçu avec égard par le Président Macron à Paris, il y a quelques jours !
Pour Ben-Gvir, les 4500 prisonniers palestiniens dans les geôles israéliennes sont dans « les conditions d’hôtel ». Il faut donc qu’ils mangent du pain rassis et non du pain préparé dans la prison. Il faut réduire l’eau des douches de ces « terroristes » et empêcher le plus possible les visites. Plus de check points pour contrôler les Palestiniens et empêcher leurs enfants d’arriver à l’école ou à l’Université. Plus d’obstacles face aux ambulances palestiniennes.
Haine à l’état chimiquement pur !
Haine toujours quand on abat les maisons de résistants palestiniens qualifiés de « terroristes » dans le but de nettoyer ethniquement Jérusalem Est de ses habitants palestiniens pour faire place à des colons juifs venant de Moldavie, de France ou de Brooklyn. Haine encore quand on déchoit de leur nationalité les personnes accusées de « terrorisme ».
Sylvain Cypel écrit dans Orient XXI, à propos de la défense de la Cour Suprême israélienne par sa présidente Mme Hayut: « Pas un mot sur les déplacements massifs de populations qui ont lieu en ce moment dans plusieurs bourgs des territoires occupés. Ni sur la « loi sur les commissions d’admission » qui permet aux mairies israéliennes d’interdire le droit de résidence sur le territoire communal à toute personne non agréée par elles. Traduction : à toute personne arabe. »
Racisme et apartheid donc dans la prétendue « seule démocratie du Moyen-Orient » !
« L’apartheid est au fondement de la culture coloniale » écrit le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne qui a vécu et enseigné à Boston, Chicago et New York (« Le fagot de ma mémoire », Ed. Philippe Rey, Paris, 2021, p. 47).
De son côté, le journaliste Gideon Levy explique pourquoi il ne participera pas aux manifestations en cours contre le gouvernement des racistes de Netanyahou, Ben-Gvir et Smotrich : « Bonne chance, les amis, du fond du cœur », lance-t-il aux manifestants. « Mais même si vous l’emportez, ce sera toujours l’apartheid, pas la démocratie ». Car la loi de l’Etat-Nation de juillet 2018, en particulier, est toujours en vigueur, elle qui stipule : Seuls les citoyens juifs d’Israël ont tous les droits, pas les non-juifs, Palestiniens, Druzes et Chrétiens !
Les Israéliens n’arrêtent pas, en effet, de manifester pour garder la Cour Suprême comme rempart contre les abus du gouvernement d’extrême droite raciste qu’ils ont mis en selle mais Cypel note : « On pourrait multiplier les exemples d’absence totale de considération du droit des Palestiniens dans les décisions de la Cour suprême israélienne. Elle n’a empêché ni la création des colonies, ni les expulsions forcées, ni la captation permanente des terres et de l’eau en territoire palestinien, ni les destructions répétées des maisons des familles de « terroristes », etc »
Parmi les manifestants, on note des représentants qui n’ont pas un mot pour les Palestiniens. Ainsi « Benny Gans, ex-ministre de la défense qui se vanta, en campagne électorale, d’avoir « tué 1364 terroristes palestiniens » en 2014, lors des bombardements israéliens sur Gaza, lorsqu’il était chef d’état-major de l’armée. Ou encore l’actuelle procureure générale israélienne, Gali Baharav-Miara, ex-avocate de l’armée qui a obtenu gain de cause contre le médecin palestinien Izzedine Abouelaish, qui avait perdu ses trois filles et une nièce dans le tir d’un char sur un immeuble de civils lors d’une autre opération israélienne à Gaza, en 2009. » écrit Sylvain Cypel.
Le poète chilien Pablo Neruda chante :
« La haine est un poisson-épée
Elle se meut dans l’eau invisible
Et on la voit venir alors
Et elle a du sang sur le couteau :
La transparence la désarme. »
N’arrêtons jamais donc de dénoncer la haine et le racisme quand ils se manifestent en Israël, aux Etats Unis et partout où ils s’en prennent au Noir, au Palestinien ou à l’émigré et le jette, par racisme, comme sans valeur. D’autant que la haine nie l’existence de l’Autre et l’efface dit Spinoza.
Mohamed Larbi Bouguerra
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