Hassen Saadaoui: L’ouvrier qui a préfiguré la gauche tunisienne

Sa biographie peut se lire à partir de ses dernières lignes : l’énigme non encore élucidée des circonstances de sa mort. Il y a plus de 60 ans, le 12 février 1963, Hassen Saadaoui, syndicaliste, membre du parti communiste tunisien, figure de la gauche, avait été «retrouvé inanimé dans la rue» et transporté à l’hôpital Charles-Nicolle où son décès a été constaté. Les versions divergent : convoqué à la police suite à ses activités militantes, alors que le parti communiste avait été interdit, Hassen Saadaoui, souffrant de maladies cardiaques, y avait-il été l’objet de «pressions» et pris de malaise ? Ou était-ce en cours de route pour répondre à sa convocation ? L’interdiction d’autopsier son corps a laissé persister tous les doutes. Il avait alors 63 ans…

L'homme est passionnant. Né en 1899 dans une famille rurale de Mdjez El Bab, orphelin de mère à l’âge de 9 ans, il sera placé auprès d’un artisan en sellerie, Ahmed Jemel, à Sarrajine, dans la médina de Tunis. L’atelier était aussi fréquenté par de nombreux nationalistes de diverses obédiences et les discussions s’y faisaient aussi diverses que mobilisatrices. En voisin, Taieb Ben Miled, artisan de chéchias, recevait durant l’été son fils Ahmed qui sera plus tard le célèbre médecin et militant de la gauche Dr Ahmed Ben Miled. Les deux jeunes se lieront d’amitié et s’engageront ensemble dans l’action syndicale. Hassen Saadaoui ira très loin : il partira pour la France où ses amis le feront embaucher sur les lignes de montage des voitures Citroën, Quai de Javel à Paris. Quelques années plus tard, il sera de retour à Tunis pour alterner, jusqu’à son décès, actions militantes, stages et voyages à l’étranger (dont deux ans à Moscou, visite en Chine, etc.), éloignements (à Borj El Bœuf, notamment), prison (jusqu’au sinistre pénitencier de Lambèse en Algérie)…

Entre deux voyages, deux emprisonnements, deux éloignements, et un intense activisme, Hassen Saadaoui se mariera, se remariera en secondes noces, retrouvera sa première femme, pour finalement trouver l’âme sœur, Cherifa, qui sera aussi sa compagne de lutte.

C’est ce récit de vie passionnant que restitue Habib Ben Romdhan dans une biographie richement documentée qu’il lui consacre. Au-delà du chemin de croix enduré, l’évocation des tentatives de  réunification des différents syndicats —l’action de Farhat Hached, d’un côté— et l’action du parti communiste de l’autre, confère une valeur ajoutée à cet ouvrage.

Hassen Saadaoui
de Habib Ben Romdhan
Nirvana, 290 pages, 2023,
28 DT