Moncef Sellami Fondateur et président du Groupe One Tech
Le Groupe One TECH, deuxième exportateur industriel privé de Tunisie, est implanté sur trois zones, à savoir El Zabib (gouvernorat de Bizerte), Grombalia (gouvernorat de Nabeul) et Tunis, et totalise 2.500 emplois.
Ce banquier passé capitaine d’industrie estime qu’un profond changement doit intervenir dans le management des entreprises.
Où en est votre groupe, au lendemain du 14 janvier ?
Il se porte bien et à vrai dire les activités de nos sociétés n’ont été que légèrement perturbées, essentiellement en raison du couvre-feu. L’occasion m’est offerte une nouvelle fois pour rendre hommage à tous nos collaborateurs qui se sont mobilisés et ont montré un sens significatif de la responsabilité.
Au 31 mai 2011, nos sociétés, comme vous le savez, orientées vers l’exportation, ont enregistré une croissance notoire dépassant les objectifs définis au cours du dernier trimestre 2010, grâce à l’effort collectif et aux relations étroites tissées depuis plusieurs années avec les donneurs d’ordre.
Notre Groupe poursuit depuis plusieurs années un programme ambitieux en matière d’investissement. C’est ainsi que nous avons consacré une enveloppe de 30 millions de Dinars pour l’extension de :
• Fuba Printed Circuit Tunisie dans la production de circuits multicouches nécessitant de nouvelles technologies,
• Tunisie Câbles par la création d’un département de fabrication de câbles moyenne tension Ces deux projets seront achevés en septembre prochain.
Dans le cadre de la décentralisation industrielle, nous entreprenons la création d’une câblerie dans le gouvernorat de Kasserine dont l’entrée en production est prévue pour le début de l’année 2012.
Nous continuons par ailleurs notre développement en consolidant notre position dans les secteurs de pointe pour acquérir de nouvelles technologies, créer de la valeur ajoutée et renforcer notre internationalisation.
L’accès à la technologie nécessite à notre avis la mise en place de têtes de pont dans les pays industrialisés à travers des prises de participation dans le cadre d’une rentabilité globale sans chercher un retour immédiat sur investissement. C’est une manière de financer le transfert de technologie.
Notre Groupe poursuit sa stratégie de partenariat entamée depuis 1978 dans plusieurs domaines : aéronautique, les énergies renouvelables. A cet effet, nous consacrerons pour les deux années à venir une enveloppe de 50 millions de dollars US.
Qu’est-ce qui est en train de changer pour vous ?
Tout ! C’est une rupture totale et salutaire. Afin de réaliser les objectifs de la révolution et mener le pays vers une véritable démocratie, il est nécessaire d’entreprendre de vastes programmes d’investissement, seuls générateurs de croissance.
Nous devons par conséquent revoir profondément notre mentalité, notre manière de gérer nos entreprises avec une valorisation de la culture du travail. Ce dernier doit être rémunéré bien entendu à sa juste valeur.
Je suis convaincu que la fluidification de l’information et la communication interne s’imposent pour une plus grande responsabilisation. Si nous voulons susciter l’adhésion des collaborateurs, il faut les impliquer afin qu’ils s’approprient pleinement les objectifs, les défis et les difficultés.
En contrepartie, il est souhaitable de mettre en place un mécanisme permettant à tous les collaborateurs de bénéficier partiellement des fruits de la croissance par le prélèvement d’un pourcentage sur les dividendes à distribuer.
Vous avez certainement été sollicité par des partis politiques, pour y adhérer et pour les soutenir. Quelle est votre attitude et que leur demanderiez-vous ?
A ce jour, je n’adhère à aucun parti politique en raison essentiellement de l’absence de véritables débats économiques, ce que je déplore, alors que sans croissance économique, il est peu probable que nous puissions vaincre le sous -emploi, anéantir la précarité, l’exclusion, réduire les inégalités et garantir la dignité.
Le citoyen tunisien a besoin de réaliser concrètement ce que la révolution lui apporte. Il cherche une amélioration de sa vie quotidienne. Il aspire à l’augmentation de son pouvoir d’achat, l’éducation de ses enfants, à un logement décent, la sécurité de l’emploi qui pour les générations à venir nécessite, comme je l’ai indiqué, une valorisation de la culture du travail.
Je prendrai part, si je suis invité, à l’édification d’un programme économique tout en sachant qu’une majorité d’électeurs fera son choix essentiellement en fonction d’un programme économique clair et précis. Or, les sondages révèlent que plus de 60 % de l’électorat, à trois mois des élections, n’a pas fait son choix. Il est important que les partis politiques prennent conscience de l’élaboration de leurs programmes économiques respectifs.
A mon avis
• Fraude fiscale et passe-droit
Tous ceux qui ont démesurément profité, sous l’ancien régime, de grandes largesses, abusant des lois et se soustrayant à l’obligation fiscale, doivent faire amende honorable. Inutile de chercher la vindicte. La meilleure façon est de les soumettre à un arrangement fiscal. Il suffit d’établir leur situation, avant et après, d’évaluer les écarts et leur faire payer ce qu’ils doivent à la Nation.
• Le gain facile
C’est une mentalité qui doit changer. Je suis choqué de découvrir la véritable ampleur des trafics de tous genres qui ont sévi sans vergogne.
Nombreux sont ceux qui y étaient allés à fond. Il urge d’y mettre fin, de combattre fortement tous les trafics, à commencer par celui de la drogue, de la contrebande et du marché parallèle. Plus rien ne doit être comme avant, seule la loi doit l’emporter. Gagner de l’argent, oui. Faire fortune, c’est plus que légitime. Mais par la sueur de son front, l’effort et en toute transparence fiscale, notamment en matière de TVA.
La répartition de la richesse ne peut se faire que par le biais d’une réforme profonde de la fiscalité. Il est anormal que depuis plusieurs années 80 % des impôts soient payés par les retenues sur les salaires. Une prise de conscience du Tunisien est indispensable : l’acquittement des impôts par tous peut amener à une diminution d’impôts et à une nette amélioration des ressources de l’Etat. Il est même possible à mon avis de réduire davantage le taux d’imposition des classes défavorisées, ce qui augmenterait de ce fait leur pouvoir d’achat.
• Désobéissance et refus de paiement
Je suis effrayé de voir certaines personnes refuser de payer leurs factures d’eau et d’électricité, sous de fallacieux prétextes, et d’autres, en plus, barrer des routes, bloquer des entreprises, appeler à la désobéissance! Est-ce admissible ?
Si chacun cesse de payer, qui financera les services publics? Si chacun se permet d’entraver l’accès à l’emploi, comment l’économie pourra-t-elle reprendre ? Le premier acte citoyen, c’est de régler ce qu’on doit à l’Etat, et de respecter le droit au travail.
• La formation professionnelle
La décentralisation de la formation professionnelle est devenue une exigence, une évaluation des besoins au niveau de chaque région doit faire l’objet d’une étude approfondie.
Les métiers manuels sont en voie de disparition dans plusieurs régions. La formation professionnelle et la mise en place de la microfinance sont à même de faire renaître les métiers manuels.
• Logements sociaux
Il en faut beaucoup plus. L’avantage du dégrèvement fiscal consenti en faveur de la promotion immobilière a été dévié de ses objectifs. L’objectif essentiel était d’encourager l’accès à la propriété, à des conditions modérées, à la portée du Tunisien moyen. Résultat des courses : on a pompé la trésorerie de l’entreprise pour souscrire au capital de sociétés de promotion immobilière, stérilisant ainsi des capitaux significatifs, créé une fausse bulle de valeur refuge en incitant les hauts revenus à investir dans la pierre, au détriment de la bourse, et surtout, fait flamber les prix. A 2000 D. et plus le m2, le Tunisien moyen est incapable d’y accéder.
Il est donc grand temps de réviser cet avantage fiscal et de le réserver uniquement aux logements sociaux et semi-sociaux, sur la base d’un cahier des charges rigoureux à respecter. Nous répondrons ainsi au double objectif de la construction de logements et de la maîtrise de leurs prix. Il est anormal que des dizaines de milliers de logements dans le Grand Tunis soient inoccupés, faute de demandeurs disposant de moyens importants et donc inaccessibles à la classe moyenne. Faut-il instaurer une nouvelle taxe immobilière ? C’est une question que je me pose afin d’orienter les capitaux vers des secteurs productifs. L’AFH a perdu sa vocation initiale lors de sa création sous le gouvernement Nouira; la reprise des activités de cette agence contribuera certainement à réduire sensiblement les spéculations immobilières.
• Conclusion
Nous aurons certainement l’occasion de développer d’autres sujets concernant l’investissement tunisien, étranger, les sources de financement, le développement des exportations génératrices de valeur ajoutée.
Le marché tunisien est trop exigu. La croissance ne peut atteindre 7 ou 8 % que dans la mesure d’un développement de nos exportations, de la valeur ajoutée, contribuant de ce fait à une augmentation de la croissance en réduisant les importations.
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Monsieur Sellami, je n'ai pas eu l'honneur de faire votre connaissance.J'ai suivi vos Interventions sur "Nessma".Je viens de lire le présent article.Vous faites honneur à votre organisation.Vous inspirez le respect et la confiance.Dommage que les chefs d'entreprise n'adoptent pas votre approche à commencer par les banquiers de la place!
Je suis médecin, à plusieurs reprises j'ai constaté que les employés de ce monsieur n'ont pas de couverture sociale (CNSS) alors qu'ils travaillaient dans son entreprise depuis plus que deux ans. Les recommandations qu'il donne s'adressent à tout le monde et sont vertueuses mais il doit commencer par les appliquer lui même, s'il est vraiment sincère.