La crise au Nord et la croissance au Sud : la sortie de crise est-elle imminente ?
Les analystes ne sont pas unanimes. Sortie de crise, imminente et par le Sud pour certains ? Encore plus longue et nécessitant une recomposition des économies mondiales pour les autres. Brouillage supplémentaire avec la crise de Dubaï. Et quel impact sur les pays de la Méditerranée ? Autant de questions de grande actualité, thème du petit-déjeuner débat, organisé comme chaque premier vendredi du mois à Paris par l'Institut de Prospective Economique du Monde Méditerranéen (IPEMED). Pour introduire ces questions, Jean-Louis Guigou et Radhi Meddeb ont convié deux analystes avisés, Christian de Boissieu (Président du Conseil d’Analyse Economique, Matignon, co-président du comité scientifique d’IPEMED) et Abdeldjellil Bouzidi (Hiram Finance).
Pour lancer le débat, Guigou se fait l’écho d’une idée persistante accréditant la thèse selon laquelle la crise est dans les pays du Nord alors que la croissance est dans ceux du Sud et que la sortie de crise qui ne saurait tarder viendra, précisément du Sud. Sans y souscrire totalement, de Boissieu souligne que la crise est également écologique. Elle est aussi facteur de fragilisation sociale, avec notamment la montée du chômage, particulièrement celui des jeunes et des nouveaux diplômés. « Face à la problématique de l’emploi, a-t-il souligné, nous manquons de moyens et d’idées ».
Pour une coopération monétaire interméditerranéenne
Pour les banques et finances, les analyses sont incertaines à cause notamment d’une bonne connaissance de l’ampleur des actifs toxiques. Les crédits se sont ralentis très sévèrement, à cause des restrictions bancaires ainsi que la retenue des investisseurs. Aussi, les conséquences réglementaires du G20 et hors G20 ont accéléré les concentrations surtout dans les banques. Quant à la libéralisation préconisée pour les pays émergents, Christian de Boissieu recommande « d’y aller avec des munitions » rappelant que « la convertibilité n’a de sens que si elle procède d’un renforcement de la coopération financière. » Il a plaidé pour la mise en place d’une réflexion sur une coopération monétaire en Méditerranée. D’après lui, les difficultés actuelles de certains pays membres de la zone euro ne doivent pas servir d’excuse pour retarder cette coopération monétaire entre les deux rives de la Méditerranée.
Pour sa part, Abdeldjellil Bouzidi, docteur en économie et consultant en a fait ressortir le faible impact de la crise financière sur les économies des pays tiers méditerranéens (PTM) du fait de la non connexion de marchés financiers peu développés aux principales places financières internationales. Mais dès lors qu'elle a touché la sphère réelle, la crise n'a pas épargné les économies de ces pays bien qu'à des degrés divers selon qu'on soit pays producteur ou importateur de pétrole. C’est ainsi qu’elle a engendré une baisse des IDE (-40% en une année, après avoir été multipliés par six entre 2000 à 2006), une baisse des recettes extérieures, et une détérioration sensible du PIB (passé de 5 à 2%) et de la balance courante. « Fabriquer de la croissance à partir du moteur de la demande interne, de la consommation et des investissements » dans les PSEM, « améliorer l’attractivité de ces pays et permettre la transformation de l’épargne en investissements productifs », sont autant de pistes avancées par Abdeldjellil Bouzidi pour faire face à la crise dans les pays de la région.
Le conférencier a passé en revue les indicateurs des pays de la région faisant ressortir la gravité de la crise soulignant au passage qu'indépendamment de celle-ci, des contraintes systémiques persistent (endettement public, absence de politique de l'offre, faible niveau de la demande intérieure).
La recomposition des économies mondiales est-elle inéluctable?
S’invitant dans le débat, la crise de Dubaï a fait l’objet d’éclairages instructifs. Nombre d’intervenants ont rappelé que les Anglais, anticipant l’érosion des places franches européennes (Suisse, Monaco, Luxembourg, Lechtenstein…) avaient déjà lancé Singapour puis développé Dubaï tout en continuant à envisager une implantation similaire en Amérique Latine. L’Emirat du Sheikh Mo nommé Dubaï Inc. a été fondé sur un modèle économique qui vient de montrer ses limites en offrant une franchise quasi-totale pour se financer grâce aux revenus de ses propres entreprises notamment dans le real estate et le tourisme. Prévisible de longue date, la cessation de paiement de Dubaï World vient torpiller les rêves de ses fondateurs et imposer de nouvelles restructurations.
La conclusion vient de Radhi Medded qui appelle à plus de prudence et de clairvoyance dans la perception des premiers signes de sortie de crise. Il rappelle que celle de 1929 a dû, avant d'être résolue, engendrer des événements majeurs de différentes natures, tels que l’avènement du nazisme (1936), la montée du front populaire (1936), le déclenchement de la deuxième guerre mondiale, les accords de Yalta et la mise en place des institutions de Bretton Woods. Aujourd’hui, une recomposition des économies mondiales est inéluctable pour accélérer la sortie de crise et les pays méditerranéens doivent savoir s’y prendre en développant les partenariats et en prenant les bonnes initiatives qui s’imposent.
- Ecrire un commentaire
- Commenter