Opinions - 11.02.2010

Réhabilitons la Sagesse

Le monde où nous vivons est  complexe, dur et à plusieurs égards incertain. Il suscite de nombreuses inquiétudes, mais laisse entrevoir, en même temps, beaucoup d’espoir, et une multitude d’opportunités pour les peuples et les pays qui sauront en tirer profit, à condition que la sagesse humaine qui a su, par le passé, relever de grands défis, retrouve sa place en tant que qualité devant régir les comportements, à l’échelle individuelle et collective.

Je suis de ceux qui considèrent qu’il existe une forte analogie entre les grandes lois qui régissent le monde matériel et celles qui régissent le monde social. Bien entendu, cela ne signifie nullement que l’être humain, en tant qu’être social, serait réductible à une modélisation mathématique; loin s’en faut. Ce serait même, à la limite absurde.

Il est possible en revanche de conjecturer qu’il existe un parallèle entre  les grandes lois qui régissent les systèmes physiques, à une échelle macroscopique, et celles selon lesquelles se comportent les individus, en société, à un moment donné et dans des circonstances déterminées.

Certains objecteront peut-être que cette analogie est admise depuis longtemps et appliquée précisément dans certaines sciences sociales. C’est ainsi par exemple, que la grande révolution qu’ont connue les sciences économiques,  à partir des années vingt du siècle dernier, a consisté essentiellement en le passage de celles-ci de sciences plutôt expérimentales, basées sur l’observation et l’empirisme, selon une approche phénoménologique,  à de véritables sciences utilisant les pratiques et les ressources des sciences exactes, avec l’adoption de lois et de modèles mathématiques pour les besoins de l’analyse, de l’interprétation et de la prédiction du comportement social. De même, des travaux de penseurs éminents, tels que ceux du grand chimiste belge et prix Nobel, Prigogine, se sont également intéressés à cette analogie par le passé, en utilisant le concept d’entropie qui mesure, en gros, le désordre dans un système matériel.
Tout ceci est vrai ; mais il semble néanmoins qu’il demeure là un champ immense d’investigation et de recherche susceptible d’aider à la compréhension de nombreux phénomènes sociaux et que cela dépasse le simple comportement marchand des individus.  

Gare aux changements brusques   

  le monde physique, en particulier, nous apprend, à travers de multiples expériences que la nature a horreur des changements brusques, qu’il déteste les forts gradients, comme on dit dans un langage un peu savant. Car les changements brusques conduisent souvent à des fragilités et à des instabilités. C’est ainsi, par exemple, que la variation brusque de la température d’une barre de fer  fragilise cette dernière et que le changement brusque dans l’itinéraire d’un véhicule peut conduire à son renversement.

En outre, le physicien a besoin, pour l’étude d’un système matériel, de définir au préalable un référentiel d’espace-temps dans lequel doit s’effectuer cette étude. Un changement ou un mauvais choix d’un tel espace peut conduire à des conclusions erronées.
L’histoire, qui constitue le meilleur éclaireur dans toute étude sociale, nous apprend que ces règles sont généralisables à un système social. Les sociétés supportent, en effet, souvent mal les changements brusques- les forts gradients- et toute œuvre humaine qui voudrait s’inscrire dans la durée, se doit de se placer dans un référentiel d’espace temps approprié, faute de quoi, elle se trouve vouée à l’échec et peut même parfois conduire à des résultats contraires à ceux escomptés.

Mais en même temps, l’être humain, en tant qu’agent social, de par sa complexité, n’est pas réductible à une représentation binaire, il n’est pas noir ou blanc, il ne peut être caractérisé par les seuls chiffres zéro et un ! Il est la résultante d’une constitution génétique qui lui est propre, d’un héritage historique et culturel qui lui est spécifique. Il est enfin conditionné par un environnement individuel et social déterminé, dont il n’est pas toujours maître et dont il ne peut se défaire. Tous ces facteurs contribuent à façonner l’individu et influent sur sa façon d’être et d’agir.

Néanmoins, l’individu dans sa dimension sociale s’approprie, dans une quête naturelle de repères, un ensemble de valeurs communes qui fondent précisément son identité. Si bien qu’il est à la fois unique et multiple, complexe mais partage des valeurs communes, et ce sont précisément ces valeurs communes qui en font un être social. 

Ceci conduit à réfuter deux modes de comportement, générateurs de conflits inutiles et de régression, parce qu’ils contredisent précisément l’une des  lois qui régissent  le monde social dont on vient de parler.

Le premier consiste à ne voir que la partie pleine d’un verre et le deuxième consiste, au contraire, à n’y voir que la partie vide. Ce sont deux comportements extrêmes, et aussi bien  le monde physique que le monde social, comme il est dit précédemment, supportent mal l’extrémisme. Ces deux attitudes fragilisent l’argumentation et situent ceux qui les adoptent dans des référentiels en décalage par rapport à la réalité et conduisent par conséquent à de fausses analyses, à des diagnostics erronées et donc,  quelle que soit par ailleurs la qualité du raisonnement qu’on fait à partir des déductions qu’on en tire, à des solutions qui ne peuvent être les bonnes.

Eviter les positions extrêmes

Ne voir que la partie pleine du verre, conduit à une forme pernicieuse de complaisance, empêche de voir la réalité en face, confine dans une posture d’autosatisfaction stérile, et comme nous vivons dans un monde dynamique où les transformations sont extrêmement rapides, une telle attitude ne peut conduire finalement qu’au recul et à la régression. 

A contrario, ne voir que la partie vide du verre conduit à se placer dans un référentiel d’espace temps en rupture avec la réalité et confine dans une posture négativiste, stérile, et en fin de compte, contre productive.

Il convient par conséquent de puiser dans l’immense champ de la sagesse pour que chacun, indépendamment de ses convictions idéologiques et de sa position, prenne la peine de respecter les grandes lois que nous enseignent l’histoire et le savoir des hommes, d’accepter la remise en question, de reconnaître et respecter  l’autre dans sa diversité, et d’éviter surtout les deux attitudes extrêmes dont on vient de parler. Car, la vérité sociale n’est souvent pas unique et il est illusoire d’en revendiquer le monopole.

La sagesse nous dicte également de reconnaître qu’il y a avantage à voir tout autant la partie pleine du verre qui fournit l’énergie et l’espoir nécessaires pour aller de l’avant, que la partie vide qui incite à l’humilité, à l’effort et à la remise en question, qualités indispensables à tout progrès. En effet, toute œuvre humaine visant l’intérêt général est digne de respect, mais en même temps et quelle qu’en soit la perfection, elle reste toujours inachevée et sujette à des améliorations et des corrections possibles.

Ce n’est qu’à ce prix, en réhabilitant la sagesse, en évitant les positions extrêmes, que se fédèrent les énergies et les intelligences ouvrant la voie à une exploitation optimale des opportunités qu’offre le monde complexe où nous vivons, pour le bien de tous et pour offrir l’espoir aux générations futures, ressort de tout progrès.
 

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10 Commentaires
Les Commentaires
Brahim - 13-02-2010 17:06

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Dr. Mourad - 13-02-2010 20:52

Quel bel article! quelle profondeur dans l'analyse! notre monde a en effet besoin d'une réhabilitation de la sagesse, pour compenser cette propension à privilégier davantage le côté purement matériel. Je me demande pourquoi nos écoles, nos lycées et nos universités n'organisent pas des cycles de conférences avec la participation de grands penseurs, comme le Pr. Friaa- et il en existe Dieu merci dans notre pays- pour sensibiliser davantage nos jeunes aux grands thèmes qui intéressent notre société et notre vie en collectivité? Merci au Pr. Friaa et à Leaders pour ces contributions de haut niveau qui peuvent se lire à différents degrés. Dr.Mourad

Amdouni M Salah - 14-02-2010 09:13

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FAÏZA ZOUAOUI SKANDRANI - 14-02-2010 13:01

La sagesse commence par le "connais-toi toi-même" de Socrate et se poursuit par l'écoute de l'autre et la connaissance de l'Autre...La connaissance des textes anciens de toutes nations construit la sagesse et inculque l'amour de la sagesse (la philosophie). Or dans le monde moderne, les sciences exactes ont pris le dessus sur les disciplines qui forment l'esprit humain ( la littérature, la philosophie, la culture générale, les langues ...) , ce qui a engendré ce déficit d'intelligence et de sagesse ...Réhabilitons les lettres dans les écoles d'ingénieur, de commerce, de gestion et nous aurions fait un grand pas dans la voie que vous préconisez...

Amine Mcharek - 16-02-2010 17:27

Éviter les extrêmes afin d’éviter une bipolarisation. Malheureusement quand de tels phénomènes se produisent, l’ajout d’un élément à un extrême est automatiquement compensé par une addition d’un autre élément à l’autre extrême. Pour ceux qui voudraient rester au milieu « les modérés » ne tiendront pas longtemps. Quand on ne voit que la partie pleine du verre, on accuse les modérés par la complaisance avec ceux qui ne voient que la partie vide et vice versa. Tout le monde finira par une obligation de choisir l’un de deux pôles et on tend graduellement vers une bipolarisation inévitable qui bien évidemment ne laissera place à la sagesse ou du moins laissera la voix de la sagesse muette a jamais.

A. Hammoudia - 16-02-2010 21:44

Je ne partage pas l'avis de M. Mcharek qui semble se résigner à l'existence unique de deux attitudes extrêmes possibles et doute quant à la possibilité d'un monde où la sagesse aurait droit de citer. Je ne partage pas du tout cet avis. Je pense en effet, comme le Pr. Friaa, que le monde n'est pas fait seulement de noir et de blanc et que la réalité sociale est beaucoup plus nuancée. Si bien qu'il y a effectivement de la place pour un véritable discours de la raison, loin de tout extrêmisme de tout bord. Ce n'est qu'à ce prix que s'instaure une paix durable dans toute société. Celà n'empêche pas bien entendu la diversité des opinions, y compris celles qui considèrent que tout est blanc et celles qui prétendent que tout est noir. J'ai trouvé cet article extrêmement instructif et digne d'un fructueux échange de vues. Bravo! Hammoudia A.

Anissa BEN HASSINE - 17-02-2010 16:47

Très sages paroles! Mais continuons le débat, le verre est à moitié plein, oui mais qu'est-ce qu'il contient ? Il conviendrait de s'intéresser à la quantité mais aussi à la qualité du contenu. Il est à moitié vide, d'accord c'est l'humilité, mais que lui manque-t-il pour se remplir davantage ? Pour avancer, chacun de nous remplit petit à petit son verre, le vide de temps en temps, le remplit encore, etc.

Olfa Ben Abir - 19-02-2010 12:50

Je voudrais d'abord remercier leaders pour la qualité de son travail et pour ses efforts en vue de susciter le débat concernant des thèmes d'un grand intérêt pour nous tous. c'est précisément le cas de cet excellent article de Mr. Friaa. J'ai lu cette contribution avec beaucoup d'intérêt et en réflechissant de près, je trouve qu'effectivement l'analogie existe entre les lois du monde physique et celles qui commandent le comportement social, en groupe. On le perçoit couramment dans notre vie quotidienne. en outre je partage l'avis de Mr. Hammoudia. Le monde social est effectivement multiple et nous avons besoin de beaucoup de sagesse pour bien vivre ensemble dans une paix sociale mutuellement profitable et où tout le monde participe au bonheur collectif. Merci Mr. Friaa pour cette belle réflexion, fort encourageante dans notre monde actuel plein de défis! O. Ben Abir

Lihidheb mohsen - 27-02-2010 21:56

Je remercie Si Ahmed Fria pour ce bel article, qui schématise la bipolarité croissante que nous vivons, laissant un "no mens land" au milieu, un "juste" milieu que la sagesse comblerait certainement.

Boubaker - 31-01-2011 21:05

Oui c'est bien dit à qui veut entendre : réhabilitons la Sagesse en pensant à Hyppocrate : science sans conscience n'est que ruine de l'ame .

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