Boubaker Benkraiem: Que faire pour améliorer les transports terrestres tout en économisant nos devises !!!
Nos concitoyens de toutes les régions du pays se plaignent, régulièrement, et à juste titre, de l’état de vétusté et d’inconfort dans lequel se trouvent nos moyens de transport terrestres et tout particulièrement, urbains. Cette situation s’est développée, depuis le 14 janvier 2011, par l’incivilité d’un certain nombre de nos jeunes qui, outre le fait qu’ils ne s’acquittaient pas du billet de transport, et outrepassant les règles de droit et de correction, ne se gênaient nullement pour saccager et salir sièges, vitres et divers équipements.
Aussi, nous savons que tous les changements populaires qui ont, normalement, de nobles objectifs, provoquent des remous, des difficultés, des troubles et des perturbations dans la vie économique et sociale du pays. C’est ce que nous avons vécu et que nous vivons encore aujourd’hui: cet air de liberté, la faiblesse regrettable de l’autorité de l’Etat qui est le seul capable d’imposer et de maintenir l’ordre public, ce changement rapide et souvent brutal dans les rapports entre les gens, font que le comportement de tout un chacun, par besoin ou par esprit de revanche sur les abus ou les malheurs du passé, est transformé dans un sens comme dans l’autre. En effet, la peur ayant disparu, l’Etat perdant de son prestige, de son Autorité, de sa force et de sa présence, tant d’abus sont possibles. Ce comportement a, forcément, un rapport direct avec le niveau intellectuel, civique et social de cette catégorie de nos concitoyens qui, en participant à tous ces mouvements de protestation, de sit-in, et d’actes répréhensibles, pensent se venger du destin qui ne les a pas bien servis.
Comme notre pays se trouve plongé dans un endettement très inquiétant et qu’il ne dispose pas d’assez de moyens financiers pour aider les sociétés de transport nationales et régionales pour le renouvellement de leur parc, nous devons trouver d’autres solutions, essentiellement économiques,pour améliorer, un tant soit peu, les moyens de transport communs actuellement en service.
Compte tenu de tout ce qui précède, notre pays doit faire face, et en même temps, du point de vue économique et social, à d’énormes défis: lutte contre le chômage, lancement de projets dans les régions déshéritées, suppression des inégalités, amélioration de l’infrastructure, etc……. De ce fait, il a besoin d’économiser le moindre dinar et de préserver les deniers de la communauté, dans le but d’essayer de faire face aux besoins qui sont énormes tellement les demandes sont importantes d’une part et d’autre part de réaliser, au moins partiellement, quelques- uns des objectifs de la révolution. Je pense qu’il existe un domaine qui peut permettre à l’Etat de réaliser d’énormes économies et davantage de devises : c’est celui du transport. Celui-ci est présent dans toutes les activités qu’elles soient économiques, sociales ou politiques. D’autre part, il est varié et souvent coûteux. J’ai vécu, il y a trente ans, une expérience insolite et très intéressante et je voudrais la rapporter dans le but d’en faire profiter les responsables du gouvernement, leschefs des entreprises publiques et privées, et même les particuliers.
Je connais un camarade de Promotion, un Colonel qui, après avoir reçu une bonne formation dans les grandes Ecoles militaires occidentales et après avoir assuré d’importants commandements dans l’Armée, a été désigné Président Directeur Général d’une société nationale dépendant du ministère de l’agriculture. Elle était destinée à accomplir des travaux agricoles au profit des petits agriculteurs, ceux dont le patrimoine agricole ne leur permet pas d’acquérir, pour leurs besoins propres, des engins agricoles dépassant et leurs moyens financiers et les superficies des terres dont ils disposent. Cette société avait aussi pour mission, dans un but évident de protéger ces petits agriculteurs de l’hégémonie et du bon vouloir des gros propriétaires terriens, de réguler les prix des travaux et des services agricoles (labour-défonçage-moisson-etc…).
Cette société avait une quinzaine de délégations réparties dans les zones de grandes cultures au nord et au centre du pays. Son organigramme comprenait près de mille employés(conducteursd’engins, cadres administratifs- techniciens et ingénieurs). Elle disposait de cent tracteurs agricoles parmi l’une des meilleures marques du monde (le tracteur allemand Fendt) dont quatre-vingt étaient en état d’usure avancée, donc en panne. Toutefois, l’Etat, dans un but de soutien à cette importante entreprise, lui a fourni un crédit lui permettant l’acquisition d’une trentaine de tracteurs.
Ayant été très proche de cet officier supérieur, j’ai été le témoin privilégié d’une expérience exceptionnelle. Comme elle a eu des résultats très positifs et même remarquables, je pense qu’elle est toujours d’actualité, qu’elle peut rendre d’énormes services à notre pays qui a tant besoin de toutes les bonnes idées. Dieu nous a pourvus d’un cerveau, siège de l’intelligence humaine et celle-ci est développée selon la culture, l’enseignement reçu, l’expérience acquise et les dons innés.
Mon camarade avait plusieurs défis à relever: d’abord, démontrer que l’officier supérieur a, d’abord, et grâce aux nombreux stages reçus et à l’expérience acquise, une formation polyvalente lui permettant d’avoir la capacité de remplir des fonctions extramilitaires, dans plusieurs domaines, ensuite, d’éviter à cette société la faillite et donner, ainsi, la possibilité à ce millier de personnels qu’elle emploie de sauver leur gagne- pain, et enfin, de remettre cette entreprise nationale en état de participer au développement de l’agriculture de notre pays et par là-même, à l’autosuffisance alimentaire nationale.
La Société ne peut être en mesure d’accomplir sa mission et d’assurer l’équilibre de ses finances qu’en employant, au moins, quatre- vingt dix pour cent de son potentiel, c'est-à-dire disposer d’un minimum de quatre-vingt-dix tracteurs opérationnels. En tenant compte du fait qu’elle ne disposait, à ce moment- là, que de vingt tracteurs en assez bon état de fonctionnement et des moyens financiers ne lui permettant de n’acquérir qu’une trentaine d’engins, le nombre d’engins nécessaire et suffisant était loin d’être atteint. Et la recherche d’une solution radicale devenait évidente.
Après avoir longuement discuté avec ses collaborateurs, le PDG a eu l’idée ingénieuse suivante: au lieu d’acquérir ces 30 tracteurs, il a prévu de:
A - rénover et rendre opérationnels les 80 tracteurs hors service, soit une capacité de travail deux fois et demi celle des 30 tracteurs prévus,
B - renforcer l’expertise et le savoir- faire du personnel technicien de la société,
C- consolider les capacités des ateliers en équipements techniques (utilisés lors de la rénovation).
Pour ce faire, il devait avoir l’aval du Conseil d’administration. Celui-ci, comprenant une dizaine de Grands Commis de l’Etat, en l’occurrence des Directeurs Généraux appartenant aux différents ministères concernés (Premier ministère- ministères de l’agriculture, des finances, du plan, Union des agriculteurs, etc…), était composé de cadres remarquables à tous les points de vue (expérience, responsabilité, sérieux et abnégation). Celui-ci a été rapidement convoqué à cet effet. Il n’a pas fallu beaucoup de temps au Président Directeur Général de la Société, pour convaincre le Conseil d’Administration d’avaliser son projet relatif à l’opération« Rénovation des tracteurs "hors service" pour «panne avancée». Celui-ci lui donna carte blanche. C’est alors que sous son impulsion, ses collaborateurs entreprirent un travail d’Etat-Major remarquable:
Une commission a été, aussitôt, désigné pour
a - établir une liste des besoins en pièces détachées nécessaires à la réparation des quatre- vingt tracteurs ainsi qu’une réserve sérieuse,
b - se rendre, en Allemagne, chez le fournisseur en vue de:
- négocier avec lui, étant donné l’importance de la quantité de pièces devant être acquises, de la valeur de la remise sur le prix d’achat de ces pièces,
- obtenir l’accord du fournisseur pour le détachement, d’une manière gratuite, d’un ingénieur durant une période de six mois, pour superviser les premières opérations de rénovation.
Un local approprié à cette opération a été réservé et aménagé à Jebeljeloud
Cinq jours après l’arrivée de la commission en Allemagne et après avoir longuement négocié le montant de la remise, le PDG, qui n’a pas dirigé cette mission, ayant préféré la laisser aux soins des Directeurs Technique et Commercial, a reçu, de la part du chef de la délégation, les propositions suivantes du fournisseur qu’il a aussitôt entérinées:
D - Une remise de vingt- cinq pour cent sur la valeur des pièces détachées,
E - La présence pendant six mois et gratuitement, d’un ingénieur qui dirigera les premières opérations et formera les personnels adéquats.
Cette initiative nécessita, bien sûr, la mobilisation de toute la Direction Générale et d’une bonne équipe d’ingénieurs de la société. Le P.D.G. étant lui-même concerné, en premier lieu, par cette question, il va sans dire que l’ambiance de travail a pris l’allure d’une troupe organisée, bien disciplinée et laborieuse.
Un mois plus tard, et grâce à différentes interventions auprès du fournisseur, tout d’abord, pour l’expédition urgente des pièces et ensuite auprès des Douanes pour la franchise rapide de ce matériel, l’ingénieur allemand entreprit le démarrage de l’opération «RENOVATI0N». Deux semaines plus tard, les premiers tracteurs rénovés ont été remis aux utilisateurs: ces engins ont été entièrement repeints, ont vu leur moteur révisé, leur pneumatique remplacé et la cabine de protection du conducteur installée. Huit mois s’étaient passés pour que l’opération soit, totalement terminée. Les tracteurs avaient tellement un aspect neuf qu’une fois, un garde national, au cours d’un contrôle de routine, envoya à la fourrière un tracteur qui lui paraissait neuf,avait une vieille carte grise. Il a fallu lui expliquer le pourquoi de la chose pour qu’il comprenne les raisons de cette «situation».
L’opération ne dura pas longtemps et les résultats dépassèrent toutes les espérances: la Société reprit son souffle et les travaux agricoles leur vitesse de croisière : les banques commencèrent à la courtiser, les crédits devinrent, miraculeusement, disponibles et le moral du personnel était au beau fixe.
Je suis convaincu que notre pays peut économiser des dizaines de milliards si pareilles opérations peuvent être entreprises par les sociétés nationales et régionales de transport et de travaux publics et privés qui doivent avoir des milliers de véhicules de tout genre dans les cimetières réservés (car-autobus-camions- semi-remorque- engins de travaux, etc….).
Je suis persuadé, aussi, que pareille opération peut intéresser plusieurs secteurs d’activités et peut engendrer d’énormes économies, économies dont les finances publiques ont grandement besoin, dans cette période délicate que traverse notre pays.
Cette opération est d’une rentabilité certaine puisqu’elle permet aux véhicules et engins d’avoir une deuxième vie tout en permettant d’énormes économies. Cependant, je pense qu’elle rencontrera l’opposition de certains responsables, habitués aux solutions de facilité par l’achat direct de matériels neufs. Aussi, je leur demanderai de faire preuve de patriotisme et de penser aux difficultés financières que traverse notre pays.
Il est peut- être utile de rappeler que le Ministère de la Défense Nationale a déjà une longue expérience bien réussie dans le domaine de rénovation de ses moyens auto et engins de différents types.
A ce propos, Dieu seul sait combien de centaines de véhicules de transport et d’engins de travaux, appartenant aux différents ministères et organismes publics, sont actuellement abandonnés parce qu’en panne ou en état d’usure avancée et qui peuvent être remis en état de fonctionnement pour de nombreuses années encore, s’ils font l’objet d’une opération de rénovation.
Boubaker Benkraiem
Ancien Sous-Chef d’Etat- Major de l’Armée de Terre
Ancien Gouverneur
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Mon ancien vous touchez du doigt un point de faiblesse de nos responsables pleins de diplômes mais qui manquent d'idées pour trouver des solutions aux problèmes du pays. Mon Colonel on devrait suivre, comme vous dîtes l'exemple de la Défense. Il y a un pays, Cuba, vu l'embargo US, où les moyens et équipements ne meurent jamais. Ils sont rétapés, rénovés, améliorés à n'en plus finir. À voir la circulation on se croirait dans un musée vivant. C'est comme celà que Cuba n'a pas croulé et tenu tête aux USA. Notre parc de matériel en panne ou réformé représente une fortune nationale et sa mise en condition engendrera beaucoup d'emplois et sera un bon moyen de nous adapter aux technologies modernes. Il serait adéquat qu'au Ministère de l'industrie on crée un organisme de remise en condition des matériels de l'Etat pour organiser des ateliers de rénovation comme vous avez présenté. Mon Colonel il aurait été meilleur de nommer le dit Colonel, ce serait à son honneur.