De l’Eurovision … à la solution à un Etat, des femmes s’élèvent contre la déshumanisation des Palestiniens et font bouger les lignes
Arwa Mahdawi - «Palestinienne par mon père» précise-t-elle - est chroniqueuse au Guardian de Londres. Elle y a publié le 8 mai un article coup de poing, une protestation raisonnée contre une certaine presse qui endort et trompe à l’heure où tout est fait pour faire oublier le calvaire que fait subir Israël aux Palestiniens et pour enterrer le droit international sur Jérusalem, l’aide aux réfugiés ou l’annexion du Golan voire celle de la Cisjordanie.
Une autre femme, Palestino-américaine celle-là, Rachida Tlaib - représentante démocrate de l’Etat du Michigan à la Chambre des Représentants et première femme d’origine palestinienne à entrer au Congrès américain- lance un défi à… Benjamin Netanyahou, défi en rapport avec sa propre grand’mère qui vit en Cisjordanie.
Il y a enfin une troisième dame: Ilhan Omar, l’élue démocrate d’origine somalienne, représentante de l’Etat du Minnesota au Congrès, qui révèle les fractures américaines que l’extrémisme de Trump et son engagement aveugle en faveur des sionistes exacerbent. Les commentateurs notent: «Ce que dit Omar sur l’État d’Israël, la guerre contre le terrorisme, la politique étrangère américaine, correspond à ce que pensent beaucoup d’Américains, à peine représentés par notre système politique. Par ses mots et ses actions, elle menace d’ouvrir la discussion démocratique, ce qui met en danger les élites politiques.
«De nombreux candidats à l’investiture démocrate en 2020 prennent leur distance avec AIPAC (puissant lobby sioniste), ce qui aurait été impensable il y a quatre ou huit ans. L’opinion publique est en train d’évoluer, à mesure que la réalité de l’occupation, le statut de seconde classe des Palestiniens, le caractère ouvertement autoritaire, antidémocratique et antilibéral d’Israël sont mieux documentés.»
Ilhan Omar s’attaque à la puissante AIPAC et fait ainsi bouger les lignes, éveillant le sens politique et la conscience des Américains… alors qu’on finance à coup de milliards de dollars, en leur nom, les agressions et le bellicisme de l’armée israélienne d’occupation….. à l’heure où leurs écoles périclitent et sont régulièrement le théâtre d’atroces boucheries voulues par la NRA (lobby des armes) et que 40 millions d’entre eux n’ont pas de couverture sociale!
La vie des Palestiniens ne vaut rien!
Sous ce titre, Arwa Mehdaoui écrit: «L’Eurovision** a toujours été un exercice de mauvais goût mais l’édition de cette année pousse les choses à l’extrême. Si vous voulez goûter ce concours de chansons de style pompier qui aura lieu à Tel Aviv, en Israël, du 14 au 18 mai, alors il vous faut fermer les yeux sur le sanglant contexte politique qui entoure cet évènement. Israël veut à tout prix faire de l’Eurovision un évènement apolitique. Quiconque s’aviserait de troubler cette rencontre se verra interdire l’entrée du pays, claironnent les autorités de «l’unique démocratie du Moyen-Orient.
«Le plus frustrant pour le Palestinien, c’est de réaliser qu’il semble n’y avoir aucune façon acceptable de défendre son humanité ni de faire entendre sa protestation contre l’oppression. Appeler au boycott de l’Eurovision, par exemple, a été critiqué comme semant la discorde. Le mois dernier, des célébrités comme Stephen Fry, Sharon Osborne et Maria Abramovi¢ ont signé une lettre où elles affirmaient que «l’esprit d’unité» de l’Eurovision «était attaqué par ceux appelant à son boycott parce qu’il avait lieu en Israël, polluant ainsi l’esprit de cette compétition et transformant cet outil d’unité en arme de division.
Appréciez ce discours! Une forme de protestation pacifique est présentée comme «une attaque» et comme «une arme». Les Palestiniens et leurs soutiens sont présentés comme des agresseurs déraisonnables et violents. Entre-temps, on passe à la trappe le contexte général. On ignore ainsi superbement le fait que la plupart des Palestiniens - même ceux qui sont à quelques kilomètres de Tel Aviv - n’ont pas la moindre chance d’assister à l’Eurovision du fait des sévères restrictions imposées à leurs déplacements. On met sous le boisseau la formidable structure qui sépare les Palestiniens des Israéliens: mur-frontière en béton armé et routes de ségrégation manifeste.
Quand on n’a jamais mis les pieds en Palestine, il est difficile d’apprécier la violence quotidienne de l’occupation. Il est difficile de se laver les mains face au cas de quelqu’un comme mon père. Natif de Cisjordanie, il n’a plus le droit d’y mettre les pieds. Il est difficile d’imaginer assister à la démolition de son logis et de son histoire. Il n’est pas aisé de comprendre l’humiliation infligée lors du passage aux check points israéliens quand on va rendre visite à un parent dans le village d’à côté. Il n’est pas facile d’imaginer ce que l’on ressent quand on vous répète inlassablement que vous n’existez pas.
Les Palestiniens ne sont pas seulement déshumanisés de leur vivant, ils sont aussi déshumanisés quand ils ont rendu leur dernier souffle. Regardez seulement quelques-unes des couvertures des récentes violences qui ont frappé Gaza. Pour le Washington Post du 6 mai, «Quatre Israéliens ont été assassinés… 23 Palestiniens sont morts.» Pareillement, CNN rapporte que «23 personnes sont mortes à Gaza» alors qu’« en Israël, quatre personnes ont été tuées.» La vie des Palestiniens n’a pas la moindre valeur. Les médias américains le prouvent chaque fois qu’ils parlent des Palestiniens. Ils sont régulièrement mis au passif ; ce qui les réduit à l’état d’accidents aléatoires…
Mais allons au fond des choses. Les Palestiniens sont toujours à blâmer, à en croire certaines agences de presse. On nous répète avec constance que la violence israélienne est purement et simplement de l’auto-défense. Ainsi, le New York Times affiche : «Les militants de Gaza ont lancé 250 roquettes et Israël a répliqué par des raids aériens.» Cette présentation que l’on rencontre partout voudrait vous amener à croire que Gaza était calme et paisible avant que le Hamas ne commence à lancer des roquettes. Ce qui n’est pas mentionné, c’est le fait que les forces israéliennes ont tiré, vendredi, sur des douzaines de manifestants palestiniens non armés avant qu’une quelconque roquette ne soit lancée. Deux de ces manifestants sont morts - dont un avait à peine 19 ans. Les morts palestiniens - comme ceux de vendredi dernier - ne bénéficient pas d’une couverture médiatique conséquente parce que la violence dans la région n’a d’intérêt que s’il y a mort de citoyens israéliens. C’est le cas du Washington Post et du New York Times qui affirmaient, lundi, que cette récente violence était «le combat le plus sanglant depuis la guerre de 2014». Plus de 50 Palestiniens de Gaza ont été tués et plus de 2400 ont été blessés le 14 mai 2018 au cours des manifestations provoquées par l’inauguration de l’ambassade US à Jérusalem. En aucun cas donc, s’agissant des Palestiniens, on ne peut qualifier ces quelques derniers jours de «combat le plus sanglant» depuis 2014.
La vie à Gaza, sous blocus israélien depuis 12 ans, est insupportable. Le taux de chômage dépasse 50%, le courant électrique est rare et 4% de l’eau est potable. Il est pratiquement impossible de rentrer ou de sortir de Gaza qui est, de fait, une prison à ciel ouvert. On reproche aux Gazaouis d’avoir élu un gouvernement extrémiste matérialisé par le Hamas. Pourtant, les militaires israéliens eux-mêmes, concèdent qu’Israël doit améliorer les conditions d’existence à Gaza pour éviter plus de violence. Il est difficile d’imaginer ce que l’on ressent quand on vous dit que vous n’avez pas à protester face à ce traitement. Il est hors de question de recourir à la résistance violente. Mais, apparemment, il en est de même des formes de résistance non-violente comme le BDS que les Etats Unis essaient d’interdire. Comme Palestinien, la seule issue permise, semble-t-il, est de se taire et de mourir. Et, nom d’un chien, ne dites rien contre l’Eurovision ! » conclut Arwa Mahdawi.
Les Palestiniens payent le prix de l’holocauste des Juifs!
Rachida Tlaib, qui a grandi dans une banlieue afro-américaine de Detroit, voit en Netanyahou et son gouvernement une bande de fieffés racistes car elle sait, elle, ce que « inégalité et oppression » veulent dire.
Elle déclare dans une interview au podcast Skullduggery (rapportée par Haaretz du 11 mai 2019): «…Quand je pense à la tragédie de l’Holocauste, je vois que mes ancêtres - les Palestiniens - ont perdu leur patrie et certains même leur vie, leurs moyens de subsistance, leur dignité humaine ; ils ont été balayés… au nom de la création d’un havre sûr pour les juifs… après cette horrible persécution des juifs à travers le monde à cette époque… J’aime le fait que ce sont mes ancêtres qui ont fourni ce refuge.»
Elle explique sa position en faveur d’un seul Etat alors que le parti démocrate auquel elle appartient est pour la solution à deux Etats en disant : «Je ne veux pas le faire au nom du judaïsme tout comme je ne veux pas le faire en utilisant l’islam. Cela doit être fait en vertu des valeurs d’égalité et du refus de l’oppression de l’Autre. De cette façon, on se sent libre et en sécurité. Pourquoi ne pas être libre et en sécurité tous ensemble?» Elle assure qu’elle n’est pas contre la solution à deux Etats mais affirme: «Netanyahou et son parti ont jeté aux orties cette solution. Tout comme le gouvernement israélien.» Elle affirme que le Premier Ministre israélien a le pouvoir de faire avancer la solution à deux Etats s’il décide un beau matin de dire : «Je vais abattre les murs. Je ne vais plus faire de colonies. Ça suffit.» Mais ajoute-t-elle, la réalité du terrain rend cette solution impossible et elle ne pourrait voir le jour sans de nouveaux drames.
Rachida Tlaib évoque le traitement réservé aux Palestiniens par Netanyahou qu’elle défie de dire, «les yeux dans les yeux», à sa grand’mère qui vit en Cisjordanie : «Vous êtes mon égale. Vous êtes aussi humaine que moi.» Netanyahou est incapable de relever un tel défi parce qu’il professe «la division et l’inégalité.»
Chapeau bas devant ces trois femmes pétries de justice, d’équité et de solidarité!
Le poète a encore raison : «La femme est l’avenir de l’homme» (Louis Aragon) comme le chantait superbement Jean Ferrat, lui qui avait autorisé, en 2004, à mettre les vers de Jean-Paul Hébert qui suivent sur l’air de Potemkine :
M’en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Qui chante au fond de moi sous les bombardements?
M’en voudrez-vous beaucoup si la révolte gronde
Dans ce nom que je dis au vent des quatre vents?
Ma mémoire chante en sourdine : Palestine.
*
Ils étaient des enfants durs à la discipline,
Ils étaient des enfants qui lançaient des galets,
Ils étaient des enfants face aux lourdes machines,
Qui lançaient des cailloux sur le toit des blindés.
Des cailloux, tu imagines ! Palestine
*
M’en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où il y a des mitrailleuses face aux lanceurs de pierres?
Le crime se répète, l’injustice est profonde,
Et face aux révoltés, c’est la loi militaire.
C’est mon frère qu’on assassine. Palestine.
*
Mon frère, mon ami, mon fils, mon camarade,
Tu ne tireras pas sur qui aime son pays.
Mon frère, mon ami, sur cette barricade
Ils jouent leur avenir. Ton avenir aussi.
Ils baissèrent leurs carabines. Palestine.
*
M’en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Où deux peuples vivraient malgré les mauvais sorts?
M’en voudrez-vous beaucoup si je vous dis un monde
Qui n’serait pas réglé par la loi du plus fort?
Mais par la vie qui s’obstine… Palestine.
Mohamed Larbi Bouguerra
** L’Eurovision à Tel Aviv n’attire guère le chaland, affirme Haaretz (12 mai 2019) qui relève que les répétitions ont été boudées par le public. Cette fête «artistique et musicale», aux dires de la propagande sioniste, est protégée par le Dôme de Fer américain, 20 000 policiers, les gardes-frontières et l’armée ! Que ne ferait pas Israël pour apparaître comme un Etat «normal» ! Que ne ferait pas Netanyahou pour échapper au juge d’instruction !
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