Adnen Mansar: Le porte-parole
Rien ne prédestinait cet agrégé d’histoire et vice-doyen de la faculté des Lettres de Sousse à devenir le porte-parole de la Présidence de la République. Il est vrai qu’Adnen Mansar, 46 ans, s’était distingué, outre son parcours universitaire, par ses tribunes politiques dans la presse, son émission radiophonique sur Jawhara FM et ses publications qui ont attiré l’attention du président Moncef Marzouki. Et le voilà rejoignant, dès le mois de janvier 2011, le cabinet présidentiel et faire partie de l’équipe rapprochée en tant que conseiller principal et porte-parole. Le public le connaît beaucoup plus dans cette fonction alors qu’en fait, il s’occupe de certains dossiers politiques particuliers, tels que l’Union maghrébine, et supervise aussi le Département culturel.
Son statut lui impose de suivre de près l’actualité, de se tenir bien informé de différentes sources et de bien connaître les positions officielles de la Tunisie et du président de la République. Comment s’y prend-il? Quelles sont ses relations avec le président et le cabinet ? Et quels écueils doit-il éviter le plus. Interview(1).
Comment procédez-vous?
Tout le travail se fait en équipe au sein du cabinet présidentiel. A commencer par l’équipe rapprochée (composée du directeur du cabinet, Imad Daïmi, du premier conseiller politique, Aziz Krichène et du porte-parole) qui approfondit l’examen des dossiers et soumet ses propositions au Président. Dès que l’actualité l’exige et que la décision de s’exprimer est prise, on se met à travailler sur le texte de la déclaration.
Parfois, c’est le Président lui-même qui me demande d’intervenir sur telle ou telle question, en me précisant des axes bien définis ou me laissant faire. Dans d’autres cas, nous prenons l’initiative d’un commun accord et lui en parlons. En fonction de l’acuité du thème, nous lui soumettons ou pas le texte final, mais généralement il nous fait confiance. Jusque-là, nous n’avons jamais été contredits. Les déclarations ont toujours été fidèles à ses positions.
Pour réussir cette symbiose, avez-vous accès quotidien direct au président de la République?
Je ne le vois pas tous les jours et à toute heure. Mais, je peux le joindre dès que nécessaire, par mail, par SMS, ou lui laisser un message auprès de son assistante. D’ailleurs, il répond très vite. Il y a cependant les différentes réunions de travail, en staff ou en équipe restreinte et des entretiens sur des dossiers particuliers. Le Président n’hésite pas à décrocher son téléphone pour s’enquérir de l’état d’avancement de tel ou tel dossier ou donner ses instructions.
Et qu’en est-il de la rédaction des discours?
Pour ce qui est des discours, certains sont entièrement rédigés par le porte- parole, ou par un autre conseiller politique, parfois il intervient avec de légères modifications, parfois avec la modifications de paragraphes entiers. Parfois encore, quand c’est lui qui rédige, il nous soumet le projet, mais au cours du staff, il accepte de changer des passages et même de supprimer des paragraphes.
Comment se passe en général une journée du président Marzouki?
Il est bien organisé. Dès 8 heures du matin, il est au bureau après avoir fait un premier tour de l’actualité tunisienne et internationale. Il prête en effet une attention particulière à la presse britannique et américaine, mais aussi française et tunisienne. Sur son bureau, il trouve la revue de presse et une série de rapports qu’il épluche attentivement. Puis, il enchaîne réunions, entretiens et audiences. Mais, il s’aménage des zones de lecture, de réflexion et d’écriture. Parfois, il reçoit des invités ou des collaborateurs à déjeuner ou à dîner. C’est pour lui l’occasion de s’informer auprès d’autres sources et d’écouter différents points de vue. Son agenda est bien rempli, d’ailleurs jusqu’à la fin de l’année.
Et le CPR dans tout cela?
Jamais, à ma connaissance, les affaires du parti n’ont été évoquées en réunions de cabinet. Il arrive au Président de glisser un mot ou une réflexion à l’un d’entre nous, mais toujours en dehors des réunions de travail. D’ailleurs, dès le premier jour à Carthage, il a pris son indépendance vis-à-vis du parti. Lors d’une réunion avec les conseillers au sujet de l’initiative de dialogue avec les différents partis politiques et partenaires concernés lancé par l’UGTT, il a voulu connaître la position du CPR quant à la participation à cette rencontre et quand il l’a sue, le désistement, de la bouche de ses conseillers politiques, tous membres du Bureau politique, il avait dit: « Le CPR est libre de prendre les positions qu’il veut, il est libre. Moi j’ai un Etat et une stabilité à défendre, et une crise à résoudre »
Cela ne vous pose pas un problème particulier, en tant qu’à la fois porte-parole du Président et membre du Bureau politique du CPR?
Au départ, les journalistes me demandaient si les déclaration que je faisais à la presse étaient la position officielle de la Présidence ou mon opinion personnelle ? Puis, ils ont fini par comprendre que je m’exprime au nom de l’institution qui me mandate. Puis, avec mon accession au Bureau politique du CPR, j’ai senti le piège de la confusion et de l’amalgame. Alors, je me suis fixé comme ligne de conduite de ne guère m’exprimer au nom du parti.
A la Présidence, vous avez dû vivre des moments très difficiles et gérer de véritables crises?
Après une première période très difficile, l’image de la Présidence est en train de changer. Au-delà des attributions votées, la Présidence constitue, avec le président Marzouki, de plus en plus un centre de gestion de crises, mais aussi un lieu de rencontres, de débats et de rapprochement de points de vue. Alors vous pouvez vous rendre compte que beaucoup de dossiers sensibles passent inéluctablement par Carthage et le Président use de toute son autorité morale pour les désamorcer.
Vous pensez à des cas précis ?
Oui, nous avons vécu de nombreuses et différentes situations. L’opinion publique a certainement le plus retenu celle de l’extradition de Baghdadi Mahmoudi. Vous noterez cependant que d’abord, cette crise interne n’a nullement rejailli sur nos relations avec nos frères libyens et qu’ensuite, elle a été rapidement circonscrite. Mais, il y a aussi le congrès des Amis du peuple syrien que la Tunisie avait abrité en février dernier. Vous ne pouvez pas imaginer toute la pression que de grandes puissances avaient essayé alors d’exercer sur la Tunisie pour qu’une résolution d’intervention armée directe étrangère émane de Tunis. Le Président y a résisté et nous avons vu alors certaines promesses d’aides financières généreuses se détourner. Il y a eu aussi l’attaque contre l’ambassade américaine, ou encore la vive tension qui avait précédé l’anniversaire du 23 octobre. Toute l’équipe fait corps autour du Président, on se répartit les tâches et chacun s’emploie à accomplir celle qui lui est assignée.
Et avec le gouvernement?
Cela dépend de la période et des sujets. Parfois, c’est très tendu. Mais, je crois que des deux côtés, nous sommes parvenus à trouver le bon mode opératoire et les relations sont de plus en plus fluides. Il y a plus de confiance réciproque et il y a une meilleure compréhension du rôle de chacun. Il faut dire que beaucoup de choses ont changé dans le pays, les champs par exemple entre présidence et gouvernement, opposition et pouvoir ne sont plus bien délimités. On est mieux rodés et les relations sont bonnes.
Au sein de la Troïka, n’y a-t-il pas eu des moments difficiles ?
Sensibles, sans doute ! Mais la compréhension a fini par s’installer. Il faut dire que la plus grande partie du travail revient maintenant à la coordination instituée entre les trois composantes qui s’appuie, pour des dossiers particuliers, sur des groupes de travail ad hoc. Alors quand les trois présidents se réunissent, ils trouvent la voie déblayée.
Quel est votre plan de carrière personnel ? Vous aspirez à un portefeuille ministériel, au nom du CPR, à l’occasion du prochain remaniement ? Vous envisagez une candidature aux prochaines législatives ?
Je n’y pense pas du tout. Pour le moment, je me concentre sur ma mission actuelle. Pour le reste, je ne me fais aucun souci. Je serai toujours content de revenir un jour ou l’autre à l’enseignement et la recherche universitaire, si …
(1) Cette interview a été publiée dans le numéro de décembre 2012 du magazine Leaders.
- Ecrire un commentaire
- Commenter